jeudi 23 octobre 2008

De l'innocence et la culpabilité, vu à travers Oedipe Roi (Sophocle)

Il y a un mois, j'ai lu (relu) Œdipe Roi de Sophocle, toujours aussi interpelée par la notion de culpabilité en rapport avec l'ignorance.
Aujourd'hui, je vous livre le court essai que j'avais rédigé lors d'un cours d'histoire (à mourir d'ennui), ainsi que ma prise de position.
Je suis très extrême. Sans doute le passé du sang qui coule dans mes veines n'y est-il pas pour rien. J'ai un gros problème avec mes origines allemandes et l'histoire récente de ce pays, qui reste le mien, bien qu'ayant longtemps et vainement tenté de nier cette réalité difficile à porter.
Mais tout d'abord deux mots sur la magnifique tragédie de Spohocle.

Quatrième de couverture:

Un mal mystérieux s'est abattu sur la ville de Thèbes. Ses terres et ses troupeaux sont frappés de stérilité. La population est décimée. Les femmes ne portent plus d'enfants. Le roi Œdipe, qui jadis, par sa clairvoyance, a sauvé la Cité et l'a rendue prospère, saura-t-il encore la tirer de l'abîme où les dieux l'ont aujourd'hui plongée? Lui, qui parvint à déchiffrer l'énigme du Sphinx, pourra-t-il élucider l'oracle qui désigne l'auteur de tous ces maux et promet la voie du salut? Nul autre moyen que de s'engager dans une véritable enquête policière. Mais, mesure que le passé se dévoile, le Fatalité divine se met en marche comme une machine infernale.
Œdipe Roi, représenté pour la première fois vers 43' avant J.-C., est, avec Antigone, la plus célèbre et la plus admirée des tragédies antiques. Par la perfection de sa construction dramatique, par ses qualités sculpturales d'équilibre et d'harmonie, cette méditation pathétique sur la vaine grandeur de l'héroïsme et sur la fragilité du bonheur humain est l'un des témoignages les plus accomplis de la poésie hellénique à son apogée.


Mon avis: *****
Vraiment, les Grecs!... Je ne me lasserai jamais de chanter leurs louanges. Ils ont humanisé le monde il y a trois mille ans, et c'est à se demander si l'homme a su progresser depuis.
J'ai décidé de réviser mes classiques (c'est le cas de le dire!), en commençant par l'une de mes tragédies favorites, Oedipe Roi.
Des écrits qui ont bien 2500 - deux mille cinq cents! - ans, et qui malgré cet âge plus que respectable, restent toujours aussi brûlants de vérité et d'actualité. Extraordinaire.

L'homme est-il libre?
Qu'est-ce que la liberté?

Est-il coupable?

Libre mais coupable?
Pas coupable parce que pas libre?
Coupable mais pas libre?

La relation étroite entre liberté et culpabilité, ignorance et innocence me travaille depuis longtemps déjà. En mai, j'écrivais dans mon petit carnet, après avoir lu cette phrase dans les Bienveillantes de Littell, "l'ignorance ne change rien au crime":

Tuer un homme, c'est tuer un homme.

Pour les Grecs, cette phrase était une vérité. Ce sont les civilisations chrétiennes qui ont créé un lien entre crime et volonté, où le crime volontaire est plus "criminel" que le crime involontaire.
Pourtant, tuer un homme, c'est tuer un homme.
La victime est aussi morte tuée volontairement que involontairement.
(...)
En condamne plus lourdement celui qui a voulu tuer en se basant sur l'idée proconçue que cet assassin-là risque de récidiver, parce qu'il est dérangé, psychopathe, assoiffé de sang. Pourtant, celui qui a tué par négligence (l'ignorance est certainement une forme de négligence) restera peut-être toujours négligent, et par-là même pourra encore être la cause de la mort d'un homme.
(...)
Je pense que la conception grecque est plus juste et surtout plus responsabilisante.
Tuer un homme, c'est tuer un homme.
Même en temps de guerre.
Même pour la bonne cause.
Même pour se défendre.
Si j'assassine quelqu'un pour éviter que cette personne ne tue beaucoup d'autres gens que je juge innocents, si je fais cela parce que je sais cet acte être juste, je demeure coupable de ce meurtre. Si je le fais malgré tout, alors c'est par don de moi-même et non pas par l'assurance de n'être point coupable. Simplement, je prends sur moi la responsbilité, le crime et la culpabilité. J'accepte d'être assassin.
Comme Oedipe, je me charge du manteau de culpabilité, je porte le joug de mon crime. Je pourrais avancer que j'ai tué parce que j'étais convaincue que c'était juste de le faire, tout comme Oedipe aurait pu se défendre de n'avoir pas su que l'homme tué était son père et que sa femme est sa mère.
Des alibis qui sans doute auraient leur poids dans un procès.
Mais.
Se savoir pleinement responsable, quoi qu'il arrive, c'est ne pas agir à la légère, mais s'assumer entièrement: il n'y a pas d'excuse possible. "On ne savait pas" disent les gens. En réalité il faut comprendre "on a préféré ne pas savoir". Combien d'Allemands, pour reprendre le livre de Jonathan Littell, avaient-ils devinés qu'il se passait des choses atroces, tout en se gardant bien de le savoir trop précisément? Ils se sont efforcés de laisser ces informations sous forme de rumeurs confuses, pour être innocentés lors d'un éventuel procès. "On ne savait pas."
N'est pas coupable uniquement celui qui a tué son prochain, mais toute personne qui, ayant l'occasion de faire le bien, ne l'a pas fait. Le silence et la passivité sont aussi criminels.


Un texte un peu provocateur et assez dur, mais je suis jeune, j'ai le droit encore de m'exalter et d'être extrême.
(Trait de caractère qui me vient de mon romantisme allemand?)


"Der Mensch ist ein Abgrund, es schwindelt Einem, wenn man hinunterschaut." (Wozzek)


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