dimanche 26 octobre 2008

Beethoven piano concerto - Kissin / Davis / LSO - part III

Troisième post d'une série de cinq articles dédiés au nouvel album paru chez EMI classics le 19.09.2008


Klavierkonzert Nr. 3 in c-moll
opus 37

...

Un chef d'œuvre tragique, peut-être le concerto le plus sombre et le plus dramatique de toute la littérature pianistique. Mais Sir Colin Davis dirige une introduction qui est encore trop lumineuse à mon sens. Quant au piano, la première phrase commencée avec toute la pesanteur qu'il se doit se dégonfle avant même d'arriver au piano subito.

Bon, voilà qui est fait. Passons maintenant aux choses sérieuses, car après un début un peu hésitant, Beethoven, son troisième concerto, Davis, Kissin et le LSO se rencontrent. Et quelle rencontre! J'en suis si soufflée que j'ai dû faire une pause après le premier mouvement, boire un verre d'eau fraîche et faire quelques pas dans le jardin.

Evidemment, je m'attendais un peu à quelque chose d'incroyable, la puissance dramatique et l'intensité du jeu d'Evgeny Kissin promettaient un troisième concerto extradordinaire. Mais à ce point? Apparemment, le LSO de Davis et Kissin s'entendent à merveille pour trouver cette cohésion presque brutale qui est - à mon avis - l'une des clés d'une interprétation réussie de l'opus 37. L'union fait la force, et les tensions sont, par effet de contraste, d'autant plus déchirantes que l'unité aura été puissante. Et ce concerto est justement plein de tensions qui tirent dans des directions contradictoires:
Il y a ce premier thème unisono, la malédiction qui pèse, le destin brisé.
Il y a ce second thème, tendrement majeur comme une réminiscence d'un passé clément, les yeux perdus dans le vague lointain des souvenirs, on se remémore les jours souriants d'antan.
Il y cette lutte entre la résignation et l'impossibilité d'accepter le premier thème. Resignation und Trotz.
L'orchestre et le soliste trouvent toujours le ton juste, variant parfois infiniment subtilement d'une couleur à l'autre, d'une pensée à l'autre, pour que le jeu reste cohérent et qu'il nous semble possible de suivre le déroulement du concerto comme on regarderait la mise en scène d'une tragédie au théâtre. C'est renversant d'intensité, de brutalité, de beauté.
Pour terminer ma critique du premier mouvement, quelques mots encore sur la cadence, que Kissin joue avec tant de force expressive que c'est comme un livre ouvert sur le cheminement psychologique de Beethoven, qui peut à peu doit se rendre à l'évidence de sa surdité naissante.
La cadenza s'ouvre avec le 'motif de la malédiction' - je fais un anachronisme, la notion de Leitmotiv tel que nous l'observons chez Wagner n'existait évidemment pas encore à l'aube du XIXe siècle - joué comme la lourde résignation du Bydlo des Tableaux d'une exposition de Moussorgski. La résignation d'une vie brisée laisse peu à peu place à une espérance, avec ces accords qui sonnent presque comme des chorals et ces arpèges que l'on pourrait imaginer sortis tous droit d'un prélude du Wohltemperiertes Klavier de Bach. Vient la douce réminiscence de cette vie avant, et avec elle, l'amour de la vie, coûte que coûte. Et Beethoven tape du pied. Excédé, il décide de relever le défi, il ne se laissera pas abattre par sa surdité.
(J'aime Evgeny Kissin pour le don qu'il a de raconter mille et une histoires.)

Le deuxième mouvement est d'une mélancolie lumineuse, avec cette façon très kissinienne de jouer avec les attentes, de retenir un peu là où l'émotion monte et de laisser ensuite couler. Ce sont ses lignes mélodiques suivies du début à la fin avec la même attention soutenue, son intensité, sa capacité à tenir l'auditeur par un fil invisible, jusque dans les passages les plus piani et les plus calmes. L'andante con moto est une continuation du premier mouvement, la tristesse apaisée qui suit les larmes de désespoir. Vidé, et calmé après avoir beaucoup pleuré.

Le rondo final est ici en mineur, alors que l'écriture ressemble un peu à celle de la gaité insouciante des deux concerti précédents. Il en résulte un frottement intéressant, un conflit entre ce que le discours raconte et ce qu'il ressent, l'impression qu'on rit jaune. Il semble que la vérité est autre que ce que l'on cherche à faire croire, que cette joie n'est qu'artifice et jeu de rôle. Cela ne m'avait encore jamais frappé jusqu'ici. Davis et Kissin transforment ce troisième mouvement en un vivace hypocrite, démarche que je trouve très intéressante et très convaincante au vu de leur interprétation des premier et deuxième mouvements.
Je saluerais au passage l'incroyable technique de Evgeny Kissin, ses trilles qui sont d'une clarté à couper le souffle, son art de dissocier ses mains et de tenir un discours avec chacune d'elle avec une autonomie telle qu'on a l'impression d'entendre deux pianistes au lieu de un seul.

Pour conclure, je dirais que que c'est la version la plus belle et la plus convaincante que j'aie entendu pour le moment, et je crains qu'il ne sera pas aisé de la détrôner.

J'avais oublié aussi la beauté de ce concerto.

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