jeudi 26 septembre 2013

Ernste Gesänge : les désillusions de Berlin-Est

Label : Harmonia Mundi
Date de parution : septembre 2013
Durée totale : 54'05
Hanns Eisler
Ernste Gesänge . Lieder mit Klavier . Klaviersonate op. 1 
Matthias Goerne / Thomas Larcher / Ensemble Resonanz

Hanns Eisler, loin (mais pas tant que ça) de sa célèbre Deutsche Sinfonie avec sa citation de l'Internationale, avec un choix de pièces à caractère intime. Le baryton allemand Matthias Goerne réunit sur ce CD des Lieder pour baryton et piano, composés sur des poèmes de Brecht durant les années d'exil, dans l'euphorie communiste, et les Ernste Gesänge, dernière partition du compositeur, qui reflète la désillusion de l'utopie socialiste. La 5ème pièce, intitulée XX. Parteitag  (XXème congrès du parti) d'après Helmut Richter, fait part de cette amertume :
Ich halte dich in meinem Arm umfangen.
Wie ein Saatkorn ist die Hoffnung aufgegangen.
Wird sich nun der Traum erfüllen derer, die ihr Leben gaben
Für das kaum erträumte Glück: Leben, ohne Angst zu haben.

Je te tiens serré dans mes bras.
L'espoir a germé comme une graine.
Verra-t-on se réaliser le rêve de ceux qui ont consacré leur vie
A un bonheur à peine imaginable : vivre sans peur.
(traduction tirée du booklet)

Ces Lieder avec accompagnement de cordes vacillent entre des traits mélodiques lumineux et des passages sombres et oppressés, qui figurent peut-être l'espoir et la désillusion ? Toujours est-il que la palette des affects explorés est vaste et subtile, Goerne et l'ensemble Resonanz offrent des teintes mélancoliques entre tendresse et tristesse de celui qui contemple le rêve de sa vie, entrecoupés parfois d'exclamations douloureuses.
La sonate pour piano op.1, écrite en 1923 est l'une des premières compositions indépendantes d'Eisler, alors élève de Schönberg à Vienne. Atonale, elle s'oriente néanmoins aux structures classiques de la sonate en trois mouvements et s'apparente à Brahms dans le travail avec le matériel thématique –probablement l'une des raisons pour lesquelles elle avait beaucoup plus à Schönberg, fervent brahmsien. 
En 1921, Eisler rencontre pour la première fois l'écrivain Bertolt Brecht. Dès 1930, ils travaillent ensemble. Brecht, communiste convaincu, saura réveiller chez son ami la question de l'engagement politique, dont Schönberg se moquait. De leur collaboration, qui dure jusqu'à la mort de Brecht en 1956, naîtront notamment une série de Lieder avec piano, composés majoritairement pendant la Seconde Guerre mondiale, durant laquelle les deux amis exilés se retrouvent à Los Angeles. Eisler associe aux vers neutres et épurés de Brecht un discours musical très lyrique qu'on pourrait presque qualifier de néo-romantique, qui contraste par sa chaleur émotive à l'austérité bien tranchée du texte. La voix veloutée et profonde de Goerne et la transparence du piano de Larcher rendent à merveille cette combinaison surprenante. Roman Hinke dit de ce paradoxe qu'il illustre l'exil de Brecht et Eisler, entre la douceur du climat californien et les atrocités de la guerre, traduisant de cette manière le déséquilibre dans lequel ils se trouvent.
Matthias Goerne continue de faire découvrir les compositions vocales de Hanns Eisler*, dont il livre un enregistrement de qualité.

L'apéro pour les oreilles, c'est ici.

* En 1998 Goerne enregistrait chez Decca le Hollywooder Liederbuch, cycle de Lieder composés en 1943 à Santa Monica.

jeudi 19 septembre 2013

Schubert pour les petits-enfants

Il y a un CD que j'écoute volontiers quand je suis au magasin. Il avait atterri dans les bacs à la fin de l'hiver, je venais de choisir la sonate de Schubert que je voulais travailler durant le semestre à venir (la mineur, D 784) et l'enregistrement en questions m'avait presque fait changer d'avis et opter pour celle en la mineur,  D 845.

Label : Deutsche Grammophon
Date de parution : mars 2013
Durée totale : 83'24
Maria João Pires est la magicienne qui raconte Schubert à ses petits-enfants*. un Schubert plein de sensibilité poétique, tour à tour grave, doux ou pétillant mais toujours avec un demi sourire et une certaine insouciance généreuse même dans les passages les plus désespérés, Schubert comme on aime à l'imaginer ; Schubert comme on l'entend rarement.
La pianiste portugaise livre une interprétation magistrale de la sonate en la mineur D 845, avec une transparence qui n'est pas sans matière, une transparence pour ainsi dire palpable.
La grande sonate en si bémol majeur D 960, dont Richter et Brendel, pour ne citer qu'eux, avaient déjà effetués des enregistrements de référence, gagne sous les doigts de Pires une dimension nouvelle de rondeur sensuelle, une touche féminine qu'on ne retrouve dans aucun autre enregistrement.
Du corps et de la légèreté pour ces deux sonates de Schubert, dans l'équilibre parfait entre l'opulence et la retenue, que l'on écoute comme on caresserait un morceau de bois poli.

* Je reprends ici les mots que mon professeur a eu en tendant cet enregistrement à une autre étudiante, qui joue également Schubert.

samedi 4 mai 2013

Blaue Stunde

– Gottfried Benn –
I
Ich trete in die dunkelblaue Stunde -
da ist der Flur, die Kette schließt sich zu
und nun im Raum ein Rot auf einem Munde
und eine Schale später Rosen – Du!

Wir wissen beide, jene Worte,
die jeder oft zu anderen sprach und trug,
sind zwischen uns wie nichts und fehl am Orte:
dies ist das Ganze und der letzte Zug.

Das Schweigende ist so weit fortgeschritten
und füllt den Raum und denkt sich selber zu
die Stunde – nichts gehofft und nichts gelitten –
mit ihrer Schale später Rosen – Du.

II
Dein Haupt verfließt, ist weiß und will sich hüten,
indessen sammelt sich auf deinem Mund
die ganze Lust, der Purpur und die Blüten
aus deinem angestammten Ahnengrund.

Du bist so weiß, man denkt, du wirst zerfallen
vor lauter Schnee, vor lauter Blütenlos,
totweiße Rosen, Glied für Glied – Korallen
nur auf den Lippen, schwer und wundengroß.

Du bist so weich, du gibst von etwas Kunde,
von einem Glück aus Sinken und Gefahr
in einer blauen, dunkelblauen Stunde
und wenn sie ging, weiß keiner, ob sie war.

III
Ich frage dich, du bist doch eines andern,
was trägst du mir die späten Rosen zu?
Du sagst, die Träume gehn, die Stunden wandern,
was ist das alles: er und ich und du?

«Was sich erhebt, das will auch wieder enden,
was sich erlebt – wer weiß denn das genau,
die Kette schließt, man schweigt in diesen Wänden
und dort die Weite, hoch und dunkelblau.»

Paris, février 2012
Revue AC3s

dimanche 28 avril 2013

Symphonie pastorale (André Gide)

Folio, 160 pages.


Quatrième de couverture :


«– Il ne faut pas chercher à m'en faire accroire, voyez-vous. D'abord parce que ça serait très lâche de chercher à tromper une aveugle... Et puis parce que ça ne prendrait pas, ajouta-t-elle en riant. Dites-moi pasteur, vous n'êtes pas malheureux, n'est-ce pas ?

Je portai sa main à mes lèvres, comme pour lui faire sentir sans le lui avouer que partie de mon bonheur venait d'elle, tout en répondant :

– non, Gertrude, non, je ne suis pas malheureux. Comment serais-je malheureux ?»



Mon avis :

Je ne suis pas une grande adepte de Rousseau, dont j'avais avalé avec beaucoup de peine les six premiers livres des Confessions au lycée. L'homme bon, généreux et droit, et vivant en parfaite symbiose avec la nature, je trouvait ça un peu basique (j'étais dans ma période Tolstoï à ce moment-là). 
Or Gertrude, l'héroïne de la nouvelle de Gide, est un condensé de Rousseau. Enfant aveugle, est recueillie par un pasteur de la Brévine, elle n'a jamais été socialisée ou éduquée. Le pasteur se charge donc de l'instruire. L'être humain étant bon par définition et Gertrude n'ayant pas été pervertie par la société, elle a évidemment une conduite morale irréprochable. En plus de cela elle est très belle et vive d'esprit. Bref, elle a tout pour plaire, et elle plait de fait bientôt au bon pasteur – et à son fils. Gide se crée là une situation intéressante (conflit moral du père, compétition entre le père et le fils, abus d'autorité, etc.) qu'il n'explore malheureusement que du bout de la plume, puisque Gertrude reste le centre de sa nouvelle. Gertrude qui se croit amoureuse du père et qui, lorsqu'elle recouvre la vue suite à une opération, réalise qu'elle imaginait le pasteur sous les traits du fils de celui-ci et que c'était lui, ce fils éloigné d'elle par le pasteur jaloux, qui s'est converti et est entré dans les ordres par dépit, qu'elle aimait en réalité. Aveuglement du coeur, aveuglement des yeux, on ne sait plus trop. Les thématiques de Gide sont intéressantes, mais je trouve dommage qu'il se borne à les effleurer sans développer plus. 

mercredi 3 avril 2013

L'art français de la guerre (Alexis Jenni)

gallimard, 640 pages

Quatrième de couverture :


«J'allais mal ; tout va mal ; j'attendais la fin. Quand j'ai rencontré Victorien Salagnon, il ne pouvait être pire, il l'avait faite la guerre de vingt ans qui nous obsède, qui n'arrive pas à finir, il avait parcouru le monde avec sa bande armée, il devait avoir du sang jusqu'aux coudes. Mais il m'a appris à peindre. Il devait être le seul peintre de toute l'armée coloniale, mais là-bas on ne faisait pas attention à ces détails.
Il m'apprit à peindre, et en échange je lui écrivis son histoire. Il dit, et je pus montrer, et je vis le fleuve de sang qui traverse ma ville si paisible, je vis l'art français de la guerre qui ne change pas, et je vis l'émeute qui vient toujours pour les mêmes raisons, des raisons françaises qui ne changent pas. Victorien Salagnon me rendit le temps tout entier, à travers la guerre qui hante notre langue.»


Mon avis :

Au début, il y  une incertitude – s'agit-il réellement d'un roman, n'est-ce pas plutôt un essai ? – tant la fiction semble être réalité. Alexis Jenni divise son roman en deux parties, les commentaires 1 à 7 en alternance avec les romans 1 à 6. Les commentaires donnent la voix au narrateur, qui analyse la société dans laquelle il vit avec un regard critique et s'embrouille dans ses monologues comme dans sa vie. Les romans sont quant à eux une mise en abyme des rencontres du narrateur avec l'ancien militaire Victorien Salagnon.
Partant de la constatation que la France actuelle détourne les yeux de ses militaires ("En France on ne sait pas quoi penser des militaires, on n'ose même pas employer un possessif qui laisserait penser que ce sont les nôtres : on les ignore, on les craint, on les moque"), Jenni fait évoluer son récit de la prise de conscience encore molle et distancée d'un homme qui regarde les nouvelles dans la chaude sécurité du lit dans lequel il vient de faire l'amour, totalement coupé de l'hiver extérieur, à un questionnement concret lorsque le narrateur rencontre un ancien parachutiste dans la banlieue lyonnaise. En échange de cours de dessin, le narrateur rédige les mémoires de celui qui a été acteur dans les guerres qui ont le plus marqué la France. Parallèlement, le narrateur remarque une importante militarisation en France, les troupes de bottes lacées-bérets remplaçant peu à peu celles des chaussures cirées-képis. Analysant le champ lexical utilisé lors des interventions des forces de l'ordre, le narrateur remarque la similitude inquiétante avec celui des guerres d'Indochine ou d'Algérie. Alexis Jenni ne manque pas d'illustrer ces thèses avec le récit des mémoires du parachutiste Salagnon :

"Et lui ?" 

Tous trois debout ils regardèrent le jeune Arabe contre le mur, qui les suivait des yeux sans rien dire. "Son prénom et sa petite croix, c'est une couverture ? 
– Il est vraiment catholique et baptisé. Il a choisi son prénom au moment du baptême, parce que l'ancien était celui du prophète, qu'il veut laisser en dehors de ça. Il s'est converti pour devenir prêtre. Il veut connaître Dieu, et il a trouvé les études islamiques imbéciles. Assis à quarante gamins à répéter le Coran sans le comprendre, devant un type maniaque qui joue du bâton à la moindre erreur, ça mène juste à la soumission, mais la soumission au bâton, pas à Dieu. l'Amour et l'Incarnation lui ont paru plus proches de ce qu'il ressentait. Il n'est plus musulman, mais catholique. Je réponds de lui, vous pouvez le détacher et le renvoyer en France avec moi.
– Il va rester avec nous.
– Il ne sait rien.
– Nous allons nous en assurer nous-mêmes.
– Il n'est plus musulman, vous dis-je ! Rien ne s'oppose à ce qu'il soit un Français, comme vous et moi.
– Vous ne savez pas exactement ce qu'est l'Algérie, mon père. Il restera Musulman, c'est-à-dire sujet français ; pas citoyen. Arabe, indigène, si vous voulez.
– Il s'est converti.– On ne quitte pas le statut de Musulman en se convertissant. Il peut être catholique s'il veut, ça le regarde, mais il reste Musulman. Ce n'est pas un adjectif. On ne change pas de nature.
– La religion n'est pas une nature !
– En Algérie, si. Et la nature donne des droits, et en enlève."
Le jeune homme accroupi contre le mur ne bougeait ni ne protestait. Il suivait la discussion d'un air attristé, découragé. La terreur viendrait plus tard.
"Allez-y, mon père ; ils savent ce qu'il font. Ce qu'ils disent semble absurde, mais ici, ils ont raison." 
(p. 560-561)

Le titre du roman fait référence à un traité militaire de la Chine du VIe-Ve siècle av. J.-C. dont la stratégie se base sur la connaissance de l'ennemi et du terrain, dans le but d'obtenir la victoire sans une seule perte humaine, un peu à la manière d'une guerre psychologique. Jenni s'appuie également sur les épopées grecques, dont il sème des allusions tout au long de son roman ; Salagnon, qui a épousé une Pied-noir, Eurydice, ne se retournera jamais sur son passé, avant de rencontrer le narrateur, pareil à Orphée, et son oncle, également militaire, n'a d'autre livre que l'Iliade, qu'il connaît parfaitement au moment de mourir. De manière plus générale, Jenni décrit les scènes de combats en suivant une esthétique très plastique qui n'est pas sans rappeler celle des scènes de guerre d'Homère. 
Une oeuvre très riche donc, critique, et qui recèle plusieurs niveaux de lecture différents, ce qui rend le roman de Jenni passionnant et incite à la relecture.

jeudi 28 mars 2013

Mémoires d'une jeune fille rangée (Simone de Beauvoir)

Personne n'a jamais songé à m'informer que les romans de Beauvoir ne ressemblent pas du tout à sa coiffure austère. Je pense que ceci est une conspiration mondiale contre ma personne.


Folio, 480 pages


Quatrième de couverture :

«Je rêvais d'être ma propre cause et ma propre fin ; je pensais à présent que la littérature me permettrait de réaliser ce vœu. Elle m'assurerait une immortalité qui compenserait l'éternité perdue ; il n'y avait plus de Dieu pour m'aimer, mais je brûlerais dans des millions de cœurs. En écrivant une œuvre nourrie de mon histoire, je me créerais moi-même à neuf et je justifierais mon existence. En même temps, je servirais l'humanité : quel plus beau cadeau lui faire que des livres? Je m'intéressais à la fois à moi et aux autres ; j'acceptais mon "incarnation" mais je ne voulais pas renoncer à l'universel : ce projet conciliait tout ; il flattait toutes les aspirations qui s'étaient développées en moi au cours de ces quinze années.»


Mon avis :

Aidée de lettres, d'albums photo et de ses journaux intimes, Simone de Beauvoir retrace son parcours depuis ses premières années jusqu'au décès tragique de sa meilleure amie Zaza Mabille. On suit l'évolution de la petite Simone qui veut écrire pour qu'on l'écoute ("à la question Que voulez-vous faire plus tard ? je répondis d'un trait : Être un auteur célèbre."), enfant capricieuse et convaincue de sa supériorité, jalouse, curieuse, engagée. Avec une humilité et une justesse d'analyse exemplaires, elle relate son adolescence difficile, le rapport avec le corps et la découverte de la sexualité, autant de sujets tabous au sein d'une famille marquée par le catholicisme intransigeant de sa mère. Beauvoir raconte les lents étés insouciants à la campagne et sa foi qui s'effondre :
Je devais fatalement en arriver à cette liquidation. J'étais trop extrémiste pour vivre sous l'oeil de Dieu en disant au siècle à la fois oui et non. (...) Je ne concevais pas d'accommodements avec le ciel. Si peu qu'on lui refusât, c'était trop si Dieu existait ; si peu qu'on lui accordât, c'était trop s'il n'existait pas. Ergoter avec sa conscience, chicaner sur ses plaisirs ; ces marchandages m'écoeuraient. C'est pourquoi je n'essayai pas de ruser. Dès que la lumière se fit en moi, je tranchai net. (p. 181.)
La langue de Beauvoir est splendide et son intuition poétique est en effet celle d'un écrivain. Avec des comparaisons et des métaphores d'une justesse rare, elle modèle son récit au delà des mots, en y ajoutant des couleurs, des textures, des odeurs et des sons, et parvient ainsi à transmettre au lecteur l'essence de l'instant qu'elle décrit.
Je plongeais mes mains dans la fraîcheur d'un massif de lauriers-cerises ; l'eau de la fontaine coulait en glougloutant sur une pierre verdâtre ; parfois, une vache frappait de son sabot la porte de l'étable : je devinais l'odeur de la paille et du foin. Monotone comme un coeur qui bat, une sauterelle stridulait ; contre le silence infini, sous l'infini du ciel, il semblait que la terre fît écho à cette voix en moi qui sans répit chuchotait : je suis là mon coeur oscillait de sa chaleur vivante au feu glacé des étoiles. (p. 108.)
Beaucoup se retrouveront sans doute dans cette quête de soi que Simone de Beauvoir raconte dans ses mémoires ; je regrette un peu de n'avoir pas lu ce livre durant ma propre adolescence et il est certain que si j'étais professeur de français au lycée, je ferais figurer cette oeuvre à mon programme !

jeudi 7 février 2013

Tharaud fait un boeuf ou la fascination pour les Années Folles

[chronologiquement, ce billet vient avant celui consacré à Couperin]

Entre les paillettes et les chapeaux cloche, il n'y a qu'à descendre dans la rue pour voir que les années 1920 sont à la mode. Comme par hasard, ma fac propose un cours sur l'entre-deux-guerres. Et comme par hasard, peu avant Noël, je découvrais un CD intitulé Le Boeuf sur le toit : Swinging Paris dans nos bacs, au magasin de disques dans lequel je travaille. Ça tombe à pic : je m'apprête justement à rédiger un travail sur le groupe des Six et le Boeuf sur le toit. J'ai donc dissimulé le CD au milieu du bac pour qu'il survive aux achats compulsifs de Noël et que je puisse l'écouter tranquillement après les fêtes. Je découvre Alexandre Tharaud, et il se trouve que je le kiffe grave sa race. Mais genre vraiment grave. Alors à chaque fois qu'un client passe la porte, j'éteins vite le lecteur, de peur qu'il ne m'achète le disque (oui, je sais...). Parce que ça m'était arrivé une fois, avec un enregistrement de Bach par David Fray ; une cliente, au moment de passer à la caisse, avait décrété : c'est beau ce que vous avez dans le lecteur, je le prendrai aussi. C'était le seul exemplaire qu'on avait au magasin et je n'avais même pas fini de l'écouter, OH! Forcément, maintenant je me méfie.

Label : EMI
Date de parution : 2012
Durée totale : 67'25
Le Boeuf sur le toit. Swinging Paris, Alexandre Tharaud

Donc Alexandre Tharaud, l'homme qui me fait carrément aimer Couperin. Ici, ce sont des arrangements jazzy de grandes pièces de Chopin et Liszt par Clément Doucet, des blues de Jean Wiéner, du Gershwin, des compositions de Ravel et Milhaud pétillantes qui frémissent sous les doigts du pianiste. Et ce sont Bénabar, Juliette, Nathalie Dessay, Madeleine Peyroux Frank Braley et guillaume Gallienne qui se glissent dans la peau des chanteuses et chanteurs qui faisaient vibrer la scène des cabarets, des music-hall et des cafés-concerts des années 20. Le résultat est un condensé de légèreté et qui donne l'impression que les musiciens se sont retrouvés spontanément pour s'amuser ensemble, à l'improviste. Sauf qu'il y a le piano virtuose irréprochable de Tharaud (peut-être un peu trop parfait pour ce type de musique qui se veut plutôt populaire et anti-académique ?) et le choix du programme, qui témoignent du soin avec lequel cet album a été créé. Le toucher de Tharaud, clair et précis comme les cordes pincées d'un clavecin, et le soucis d'une sonorité qui reste ronde et pleine autant dans les petites notes piquées que dans les grands accords, trahissent sa formation classique. C'est donc de la musique de divertissement frottée au savon et rendue adaptée à une salle de concert. Mais peu importe finalement, car la composante principale, la joie simple de jouer, les rires et sourires complices que l'on devine dans la face cachée de l'enregistrement, demeure intacte.
Un album qui fait sourire et diffuse cette insouciance (un peu forcée) des Années Folles.

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PS : Fort de ce succès, EMI fait péter les archives et sort un coffret de 4 CDs autours du mythique duo que formaient les pianistes Clément Doucet et Jean Wiéner, qui sort demain.

samedi 2 février 2013

Tic, toc, choc, le baroque qui a la frite

Je tiens un scoop : J'écoute du Couperin pour le plaisir. Oui, Couperin pour le plaisir. Depuis que j'ai découvert l'enregistrement d'Alexandre Tharaud, je me lève une heure plus tôt pour mettre le disque et retourner sous la couette pour écouter Couperin en poussant des soupirs d'extase. D'ailleurs, à bien réfléchir, je crois que c'est même la première fois de ma vie que je parle de ce compositeur, parce qu'avant Tharaud, il était l'anti-orgasme absolu, un peu comme Scarlatti avant Horowitz. Alors voilà, parlons-en.

Label : Harmonia Mundi
Date de parution : mars 2007
Durée totale : 65'18
Couperin : Tic, toc, choc, Alexandre Tharaud

Pour cet enregistrement, Alexandre Tharaud dit avoir réuni les pièces les plus 'pianistiques' de Couperin, en mettant l'accent sur l'aspect ludique de certaines d'entre elles... (Harmonia mundi) Les barricades mistérieuses, aux airs de préludeouvrent le programme. Un timbre soyeux, épais, lourd et sombre comme du velours, surpris brusquement par les notes cristallines et lumineuses comme des gouttes de rosée étincelant au soleil de Tic, toc, choc ou les maillotins. Clarté des notes répétitives, staccato délicatement ciselé, une pièce virtuose. Tout au long du CD, Alexandre Tharaud semble s'amuser à varier les sonorités comme un acteur qui prend plaisir à interpréter différents personnages. Et il me semble que c'est dans cette joie de jouer que réside tout l'attrait cet enregistrement en particulier et du piano de Tharaud en général. Chaque pièce est une première fois, comme si le pianiste découvrait la musique à l'instant, et cet émerveillement spontané produit un jeu haut en couleurs et d'une sincère fraicheur. Le pianiste raconte d'ailleurs avoir à un moment de sa vie décidé de renoncer à posséder son propre piano et ne travailler plus que chez des amis. Il crée ainsi une situation de manque qui se traduit par une nécessité impérieuse de jouer. Et c'est exactement ainsi que sonne l'enregistrement : ce n'est pas joué "encore une fois", mais "enfin à nouveau".

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Pour les Autrichiens qui se promènent sur ce blog (bonjour !) : Tharaud sera de passage à Vienne avec le concerto pour la main gauche de Ravel, ce sera le 11 mai 2013 à 19:30 au Musikverein

dimanche 27 janvier 2013

Le sermon sur la chute de Rome (Jérôme Ferrari)

Actes Sud, 208 pages


Quatrième de couverture : 


Dans un village corse perché loin de la côte, le bar local est en train de connaître une mutation profonde sous l'impulsion de ses nouveaux gérants. À la surprise générale, ces deux enfants du pays ont tourné le dos à de prometteuses études de philosophie sur le continent pour, fidèles aux enseignements de Leibniz, transformer un modeste débit de boissons en "meilleur des mondes possibles". Mais c'est bientôt l'enfer en personne qui s'invite au comptoir, réactivant des blessures très anciennes ou conviant à d'irréversibles profanations des êtres assujettis à des rêves indigents de bonheur, et victimes, à leur insu, de la tragique propension de l'âme humaine à se corrompre.
Entrant, par-delà les siècles, en résonance avec le sermon par lequel saint Augustin tenta, à Hippone, de consoler ses fidèles de la fragilité des royaumes terrestres, Jérôme Ferrari jette, au fil d'une écriture somptueuse d'exigence, une lumière impitoyable sur la malédiction qui condamne les hommes à voir s'effondrer les mondes qu'ils édifient et à accomplir, ici-bas, leur part d'échec en refondant sans trêve, sur le sang ou les larmes, leurs impossibles mythologies.


Mon avis :

J'ai lu beaucoup de critiques très positives, il a reçu le Prix Goncourt (quand-même !), bref : tout le monde semble adorer à la fois l'histoire et le style, je dois être une idiote solitaire qui n'a rien compris. Tant pis, j'assume. L'histoire en elle-même, la chute d'une utopie, la fin d'un monde (celui du petit bistrot d'un village corse) est une actualisation intéressante de la chute de l'Empire romain. Il y a beaucoup de petits symboles jetés ça et là au long du roman, et c'est peut-être de ma faute si je ne connais pas assez bien cette période de l'histoire pour saisir tous les clins d'oeil de l'auteur et découvrir toute la richesse du récit. Admettons.
Champ lexical de la putréfaction, de la nausée et des accouplements, les hommes ne pensent qu'à boire et coucher avec les serveuses du bar, les femmes ne sont que des prostituées voleuses et pleurnichardes.  On se retrouve dans Céline, Voyage au bout de la nuit. Utiliser des images qui évoquent la décomposition et la décadence, évidemment, c'est en rapport avec le thème choisi. Mais faut-il vraiment y rester bloqué pendant près de 200 pages? Le style manque de finesse, les mots perdent leur poids et le dégout, à force de répétition, se transforme en lassitude. Quel soulagement alors d'ouvrir le dernier chapitre dans lequel enfin on quitte le style visqueux pour une langue précise et nette, et qui exprime tellement plus.
Je reste perplexe et vaguement inquiète : pourriture, bave et sperme – est-ce là vraiment tout ce que la littérature française a à offrir ? Notre société a-t-elle l'âge mental d'un enfant de cinq ans, fasciné par tout ce qui le dégoute ? 
Au final, le roman de Ferrari en soi me dérange moins que le fait qu'on lui ait attribué le Goncourt. Il me semble qu'un écrivain n'est pas seulement un habile conteur d'histoires mais aussi un artiste de la langue, quelqu'un qui fait de la musique et de la peinture avec les mots. Et c'est là une qualité que je retrouve de moins en moins dans la littérature actuelle. 

lundi 14 janvier 2013

Im Bett zusammen lesen

(Ce blog revit, c'est fou!)
Le dernier recueil de poèmes de Thomas Kunst (souvenez-vous de ce poème que j'aime tant) dans les mains. Le même papier élégant que celui des Éditions Actes Sud, une odeur de colle subtile, presque fruitée et surtout le rythme des vers, cette musique de va et vient têtu et monotone comme le clapotis des vagues:

Gehe heute Nacht bitte nicht mehr zurück
In deine Wohnung, du kannst auch gern in
Deiner Lieblingstasse schlafen, die neben
Meiner Lieblingstasse steht, wir spielen
Vorher Stadt Land Name Tier Gewässer und
Vernichten die Zettel gleich wieder, wenn
Die Ergebnisse zu eng zusammenliegen,
Nonnenfalter, Niersteiner See, wir steigen
Nach dem Match in voller Montur über die
Beiden Henkel tief in unsere Tassen
Runter, in deinem Bett war gestern Tee
Für deine Atemwege, am nächsten
Morgen, bevor du dann in deinem Wagen
Davonschneist, gehst du zum letzten
Mal bei den vier Papiertonnen in meinem
Hinterhof vorbei und schmeißt unsere klein-
Gefetzten, gereizten, von Schnee und
Licht noch einmal richtig aufgeheizten
Spielberichte in die Tonne, die
Dir von innen jetzt am wenigsten
Entgegenkommt, es gibt gar keine
Nonnenfalter im Niersteiner See.

Thomas Kunst, Legende vom Abholen, Berlin: Edition Rugerup, 2011, p. 76.

samedi 12 janvier 2013

Die Welt von Gestern: Erinnerungen eines Europäers (Stefan Zweig)

Fischer Taschenbuch Verlag, 512 pages


Quatrième de couverture:

Erinnerungen an die Welt von Gestern – an die bürgerliche Welt, die in zwei Weltkriegen unterging. Erinnerungen an das alte Wien, und an ein unstetes Leben: Europa auf der Flucht vor sich selbst. Stefan Zweigs Lebensgeschichte und zugleich die seiner Generation. 


Mon avis:

Un livre lu durant les deux jours passés dans le train entre l'Autriche et la Suisse, dans une urgence fiévreuse dont Zweig lui-même me livre l'explication lorsqu'il s'interroge sur les raisons du succès que rencontrent ses romans: il est, écrit-il, un lecteur impatient. Seuls les textes qui tiennent le lecteur en haleine jusqu'à la dernière ligne lui procurent une satisfaction parfaite. Impatience qui n'épargne d'ailleurs même pas les grands classiques de la littérature, ainsi qu'il a l'honnêteté de l'admettre.*
Dans ce récit autobiographique rédigé dans l'exil brésilien entre 1939 et 1941, Zweig dresse un portrait critique et très juste de l'Europe du tournant du siècle jusqu'à la Seconde Guerre mondiale. Portrait d'une société bourgeoise au bord du gouffre, d'une jeunesse nouvelle qui rejette en bloc tout ce qui s'apparente de près ou de loin à la tradition, portrait également d'un artiste profondément cosmopolite, qui cherche son rôle dans une Europe qui dresse ses peuples les uns contre les autres au nom d'un nationalisme artificiel. 
Le texte s'ouvre sur l'Europe d'avant-guerre, lente et majestueuse comme un roi patriarcal, dans l'illusion d'une sécurité inébranlable. L'Europe des hommes respectables et barbus, et qui fait rimer sagesse avec vieillesse. Zweig raconte ses années de Bohème, Berlin, Paris, Londres, Bruxelles, les amitiés nouées avec Rolland et Verhaeren. Et cette nuit de l'été 1914, dans le dernier train de nuit qui circule entre la Belgique et l'Autriche, à bord duquel Zweig figure les premiers témoins de la violation de la neutralité belge par les troupes allemandes en vertu du plan Schlieffen. Il relate sa correspondance passionnée avec Rolland et les articles publiés depuis l'exil suisse, le retour dans une Autriche dévastée et la famille impériale bannie, croisée à la frontière autrichienne. Zweig formule une analyse très pertinente sur les changements qui s'opèrent dans la société. Après avoir narré l'Europe à barbe blanche, il décrit une Europe nouvelle, jeune et imberbe, et suit avec effroi la montée des extrêmes avant de fuir les uniformes marrons en émigrant au Brésil.
Je vous livre ici un passage sur l'Europe de l'entre-deux-guerre qui m'éblouit par la justesse de son analyse. (Désolée, c'est en allemand, je ne me sens pas le courage de traduire.)

 (…) innerlich vollzog sich eine ungeheure Revolution in diesen ersten Nachkriegsjahre. Etwas war mit den Armeen zerschlagen worden : der Glaube an die Unfehlbarkeit der Autoritäten, zu dem man unsere Jugend so überdemütig erzogen. Aber hätten die Deutschen ihren Kaiser weiter bewundern sollen, der geschworen hatte zu kämpfen "bis zum letzten Hauch von Mann und Roß" und bei Nacht und Nebel über die Grenze geflüchtet war, oder ihre Heerführer, ihre Politiker oder die Dichter, die unablässig Krieg auf Sieg und Not auf Tod gereimt? Grauenhaft wurde erst jetzt, da der Pulverkampf sich über dem Land verzog, die Verwüstung sichtbar, die der Krieg hervorgerufen. Wie sollte ein Sittengebot noch als heilig gelten, das vier Jahre lang Mord und Raub unter dem Namen Heldentum und Requisition verstattet? (…) So weit sie wache Augen hatte, sah die Welt, daß sie betrogen worden war. (…) Was Wunder, wenn da eine ganze junge Generation erbittert und verachtungsvoll auf ihre Väter blickte, die sie sich erst den Sieg hatten nehmen lassen wollen und dann den Frieden? (…) War es nicht verständlich, wenn jedwede Form des Respekts verschwand bei dem neuen Geschlecht? Eine ganz neue Jugend glaubt nicht mehr den Eltern, den Politikern, den Lehrern; jede Verordnung, jede Proklamation des Staates wurde mit misstrauischem Blick gelesen. Mit einem Ruck emanzipierte sich die Nachkriegsgeneration brutal von allem bisher Gültigen und wandte jedweder Tradition den Rücken zu, entschlossen, ihr Schicksal selbst in die Hand zu nehmen, weg von alten Vergangenheiten und mit einem Schwung in die Zukunft. Eine vollkommen neue Welt, eine ganz andere Ordnung sollte auf jedem Gebiete des Lebens mit ihr beginnen; und selbstverständlich begann alles mit wilden Übertreibungen. Wer oder was nicht gleichaltrig war, galt als erledigt. Statt wie vordem mit ihren Eltern zu reisen, zogen elfjährige, zwölfjährige Kindern in organisierten und sexuell gründlich instruierten Scharen als „Wandervögel“ durch das Land bis nach Italien und die Nordsee. In den Schulen wurden nach russischem Vorbild Schülerräte eingesetzt, welche die Lehrer überwachten, der "Lehrplan" umgestoßen, denn die Kinder sollten und wollten bloß lernen, was ihnen gefiel. Gegen jede gültige Form wurde aus bloßer Lust an der Revolte revoltiert, sogar gegen den Wille der Natur, gegen die ewige Polarität der Geschlechter. Die Mädchen ließen sich die Haare schneiden, und zwar so kurz, daß man sie in ihren "Bubiköpfen" von Burschen nicht unterscheiden konnte, die jungen Männer wiederum rasierten sich die Bärte, um Mädchenhafter zu erscheinen, Homosexualität und Lesbierinnentum wurden nicht nur aus innerem Trieb, sondern als Protest gegen die althergemachten, die legalen, die normalen Liebesformen große Mode. Jede Ausdrucksform des Daseins bemühte sich, radikal und revolutionär aufzutrumpfen, selbstverständlich auch die Kunst. Die neue Malerei erklärte alles, was Rembrandt, Holbein und Velasquez geschaffen, für abgetan und begann die wildesten kubistischen und surrealistischen Experimente. Überall wurde das verständliche Element verfemt, die Melodie in der Musik, die Ähnlichkeit im Portrait, die Faßlichkeit in der Sprache. Die Artikel "der, die das" wurden ausgeschaltet, der Satzbau auf den Kopf gestellt, man schrieb "steil" und "keß" im Telegrammstil, mit hitzigen Interjektionen, außerdem wurde jede Literatur, die nicht aktivistisch war, das heißt, nicht politisch theoretisierte, auf den Müllhaufen geworfen. Die Musik suchte starrsinnig eine neue Tonalität und spaltete die Takte, die Architektur dreht die Häuser von innen nach außen, im Tanz verschwand der Walzer vor kubanischen und negroiden Figuren, die Mode erfand mit starker Betonung der Nacktheit immer andere Absurditäten, im Theater spielte man „Hamlet“ im Frack und versuchte explosive Dramatik. Auf allen Gebieten begann eine Epoche wildesten Experimentierens, die alles Gewesene, Gewordene, Geleistete mit einem einzigen hitzigen Sprung überholen wollte; je jünger einer war, je weniger er gelernt hatte, desto willkommener war er durch seine Unverbundenheit mit jeder Tradition – endlich tobte sich die große Rache der Jugend gegen unsere Elternwelt triumphierend aus. (…) Biedere, brave, graubärtige Akademieprofessoren übermalten ihre einstigen, jetzt unverkäuflich gewordenen „Stilleben“ mit symbolischen Würfeln und Kuben, weil die jungen Direktoren (überall suchte man jetzt Junge und besser noch: Jüngste) alle andern Bilder als zu "klassizistisch" aus den Galerien räumten und ins Depot stellten. (…) Überall lief das Alter verstört der letzten Mode nach; es gab plötzlich nur den einen Ehrgeiz, "jung" zu sein und hinter der gestern noch aktuellen eine noch aktuellere, noch radikalere und noch nie dagewesene Richtung prompt zu erfinden.
Welch eine wilde, anarchische, unwahrscheinliche Zeit, jene Jahre, da mit dem schwindenden Wert des Geldes alle andern Werte in Österreich und Deutschland ins Rutschen kamen! Eine Epoche begeisterter Ekstase und wüster Schwindelei, eine einmalige Mischung von Ungeduld und Fanatismus.
Zweig, Die Welt von Gestern, Frankfurt a/M: Fischer Taschenbuch Verlag, 2012, p. 339-343.


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*Letzten Endes glaube ich, stammt er [der unvermuteter Erfolg] von einer persönlichen Untugend her, nämlich daß ich ein ungeduldiger und temperamentvoller Leser bin. Jede Weitschweifigkeit, alles Schwelgerische und Vage-Schwärmerische, alles Undeutliche und Unklare, alles überflüssige-Retardierende in einem Roman, einer Biographie, einer geistigen Auseinandersetzung irritiert mich. Nur ein Buch, das ständig, Blatt für Blatt, die Höhe hält und bis zur letzten Seite in einem Zuge atemlos mitreißt, gibt mir einen vollkommenen Genuß. (...) Selbst bei den berühmtesten klassischen Meisterwerke stören mich die vielen sandigen und schleppenden Stellen (...). 
Zweig, Die Welt von Gestern, Frankfurt a/M: Fischer Taschenbuch Verlag, 2012, p. 363.