mardi 25 décembre 2012

Fool of Franui, heast Oida!*

* "heast Oida": autrichien pour "tu vois ou bien, j'entends!"

Aujourd'hui je fais de l'importation de culture. Parce que l'Autriche, c'est pas que Mozart, Sissi et les Schnitzel, mais c'est aussi Franui (ouf! parce que Mozart était un gros mal élevé, Sissi a l'air d'une potiche et je suis végétarienne)
Franui est un groupe de musiciens du Tyrol de l'ouest, à la frontière italienne. Je vous laisse avec un mini-reportage créé par leur label col legno (label le plus cool au monde, ex-aequo avec harmonia mundi). C'est sous-titré anglais, pas besoin d'être natif de Innervillgraten pour suivre.



Le principe Franui, si je peux le formuler comme ça, c'est d'abord une couleur sonore caractéristique, sorte de combinaison entre des instruments de la tradition populaire alpine (tympanon, cithare), klezmer/Europe centrale (clarinette, violon, tuba), jazz (trompette, saxophone) et sud-américain (guitare, harpe, bandonéon), et le soucis de "raconter" la musique. Le groupe n'hésite pas à introduire -en dialecte tyrolien incompréhensible et avec beaucoup d'humour- les morceaux ou à collaborer avec des comédiens pour libérer la musique du corset rigide des salles de concerts.
Franui s'est d'abord attaqué au Lied - Schubert, Brahms, Mahler. Oui, rien que ça. Les Lieder sont dépoussiérés et intelligemment assaisonnés avec un peu de Brass Band et de tango argentin, quelques zestes klezmer et une poignée de musique traditionnelle tyrolienne. Je vous propose de cliquer ici pour écouter ce qu'il en font.

Je vous propose pour commencer des extraits de leur enregistrement Brahms Volkslieder, présentés au Bregenzer Festspiele en 2008:


Et puis enfin leur tout dernier projet, Fool of Love, une mise en musique de 16 sonnets de Shakespeare, en collaboration avec le chanteur Karsten Riedel:

 

Et comme le CD est trobien et qu'il tourne en boucle dans ton lecteur, tu finis par connaître les paroles par coeur; 16 sonnets de Shakespeare en anglais élisabéthain que tu peux citer comme ça, paf! c'est quand-même trop la classe, hein, j'entends!

mercredi 19 décembre 2012

Isabelle Faust ou la Belle au bois dormant

Ce blog n'a encore jamais parlé d'Isabelle Faust. (C'est grave.)
J'ai donc choisi de vous présenter un enregistrement paru chez Harmonia Mundi, le label le plus esthétique que je connaisse - je sais, on s'en fiche, un CD, ça s'écoute (mais le klariscope vous prouvera que ce n'est pas tout à fait vrai et que le grand méchant loup du marketing est partout).
Donc Isabelle Faust. En deux temps, trois mouvements: 

Isabelle Faust naît en 1972 à Esslingen, en Allemagne. Elle commence le violon à l''âge de 5 ans, fonde un quatuor à l'âge de 11 ans et obtient le premier prix au concours Leopold-Mozart à l'âge de 15 ans. (Plan quinquennal, bonjour.) Son répertoire s'étend de Bach à Ligeti. Son intégrale des sonates de Beethoven avec le pianiste Melnikov ainsi que l'enregistrement des concertos de Berg et Beethoven sous la direction de Claudio Abbado ont été salués par un Diapason d'Or et un Gramophone award, un Diapason d'Or lui a également été décerné pour ses sonates et partitas pour violon seul (vol. I) de Bach.
Et puis elle joue le Stradivarius de 1704 "La Belle au bois dormant". (Le titre de l'article fait donc référence au violon de Faust et pas à mon activité sur ce blog.)

Label: Harmonia Mundi
Date de parution: 17.02.2012
Durée totale: 68'58

Berg | Beethoven: Violin Concertos, Isabelle Faust, Orchestra Mozart, Claudio Abbado

En choisissant de réunir le concerto de Berg et celui de Beethoven sur un CD, Abbado et Faust annoncent d'emblée que l'enregistrement mise avant tout sur le contraste. Le caractère sombre et introverti du sérialisme de Berg s'oppose s'oppose au Ré majeur lumineux de Beethoven, les pensées morbides de l'un –encore très "esprit Fin de siècle"– tranchent avec la joie communicative de l'autre. 

Le violon de Faust flotte, fragile et diaphane comme une jeune fille pâle. Comme Manon Gropius, la fille d'Alma Mahler et Walter Gropius, décédée à l'âge de 18 ans et à qui Alban Berg dédie son "Concerto à la mémoire d'un ange". Au dessous, un orchestre qui semble détraqué, qui sonne creux comme une trahison, quand il n'est pas déchiré par des sons très bruts (au tuba notamment) qui évoquent les pulsions primitives de la terre, l'aspect organique de la mort et de la décomposition. Un jeu très sombre qui marque bien l'immense espace qui sépare le violon solo de l'orchestre, sans toute fois perdre une certaine cohérence de l'oeuvre.

Beethoven s'ouvre sur la sonorité très feutrée des quatre coups de timbale et de grandes respirations qui contribuent à donner à la pièce un caractère très frais et spontané. Faust s'insère dans cet orchestre de velours avec son violon qui reste chaleureux jusque dans les aigus les plus extrêmes. C'est déjà un plaisir en soi que de se laisser porter par la douceur des aigus. Pourtant Faust va bien plus loin, elle suit Abbado dans sa quête de fraicheur et se permet quelques subtils rubato qui donnent au concerto un rendu très naturel. L'auditeur a l'impression que les musiciens inventent le concerto au fur et à mesure qu'ils le joue. La technique brillante de Faust lui permet chanter ses mesures apparemment sans effort et de dévoiler un jeu tout en délicates nuances et subtiles retenues. 

Si chacun de ces concertos reçoit une interprétation très réussie, c'est surtout réunies que ces deux pages dévoilent tous leurs parfums. Le malaise résigné du concerto de Berg s'associant par opposition au naturel gai et insouciant de celui de Beethoven.

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Autres critiques:
Res Musica
Klassik.com (en allemand)

jeudi 5 janvier 2012

Mon problème avec Jean-Pierre Léaud

François Truffaut & Jean-Pierre Léaud dans
Les Deux Anglaises et le Continent, 1971
S'il y a une chose que j'apprécie tout particulièrement dans les vacances de Noël, c'est le fait de retrouver les piles de DVDs chez mes parents. Souvent je me fais une liste de films que j'aimerais revoir, de réalisateurs que je voudrais mieux connaître et une fois de retour, je pioche dans ce qui me fait envie. Cette année, j'ai laissé l'énorme coffret de Bergman de côté pour me tourner vers le cinéma français. Pour les soirs avec ma voisine c'était Sacha Guitry, parfois un Fernandel, pour les après-midi pluvieuses la Nouvelle Vague. Sur ma liste il y avait A bout de souffle à regarder absolument et Bonjour tristesse. Je voulais aussi du Truffaut, parce qu'il y a cette chanson de Vincent Delerm où Jean-Pierre Léaud répète face au miroir Antoine Doinel! Antoine Doinel! Antoine Doinel! qui m'a donné envie de regarder à nouveau ce cycle de Truffaut. Mais hier soir, comme je n'arrivais pas à me décider quel film de la saga je voulais regarder, j'ai opté pour Truffaut-Léaud sans Doinel: Les deux Anglais et le Continent
C'est un film superbe, je crois que les deux soeurs Brown incarnent à elles deux toutes les femmes à la fois, c'est hallucinant de beauté et d'intensité. Et puis il y a Jean-Pierre Léaud qui m'exaspère parce que je trouve qu'il joue mal. Comme toujours. On dirait qu'il récite un texte appris par-coeur et qu'il effectue docilement les gestes et les intonations qu'on lui demande de faire. On sait par avance quel geste il fera parce qu'on peut le voir se dire intérieurement "là je devrai être surpris". Comme un enfant. De l'appris par-coeur, pas de ressenti.
Et puis il y a Jean-Pierre Léaud qui incarne ce garçon maladroit qui ne sait pas ce qu'il attend de lui-même et des autres, qui joue à merveille cet homme un peu paumé, intelligent mais gauche, qui a besoin que les femmes qu'il croyait dominer lui montrent ce qu'il veut et qui il est. 
Je ne sais pas quoi penser de lui, c'est toujours pareil, la première moitié du film il m'exaspère et la seconde moitié il m'émeut.