jeudi 7 octobre 2010

Brahms, Concertos pour piano et symphonies - 2ème partie

Rudolf Buchbinder

Second volet des concert du Tonhalle Orchester Zürich à Vienne, la salle est toujours aussi pleine. Cette fois-ci, c'est avec le concerto pour piano n°2 en Si bémol majeur op. 83 que s'ouvre la soirée. Buchbinder semble plus détendu, et l'orchestre nous fait rêver avec son son sombre, dans ce premier mouvement voilé, brumeux comme un matin d'automne, beau et triste à la fois. Des tempi peut-être globalement un peut trop rapides, et le même problème de sonorité de Buchbinder que le soir précédent, un son sec, étranglé, sans corps. Mais l'orchestre avec son aisance ramène à chaque fois dans la sonorité ambrée et épaisse, très bien équilibrée, donnée au départ. Le soliste surprend néanmoins par son agilité à soutenir le tempo donné par Zinman, dans les mouvements rapides, trouvant même un son très scintillant dans le second mouvement. Et à nouveau, il excelle dans le mouvement lent, en choeur avec le violoncelle solo, dans un jeu très raffiné.

Le programme se terminait avec la symphonie n°4 en mi mineur op. 98, dans laquelle l'orchestre retrouve sa relation privilégiée avec Zinman, qui semble se borner à leur donner l'impulsion du départ, puis à retenir ou au contraire lâcher les rênes de ses musiciens.

Brahms, Concertos pour piano et symphonies - 1ère partie

Retour au Musikverein pour deux soirs de Brahms, avec Rudolf Buchbinder et le Tonhalle Orchester Zürich dirigé par le chef titulaire David Zinman.
David Zinman
Premier concert avec une symphonie n°1 en do mineur, op. 68 qui s'éclate en contrastes. Zinman peut compter sur des musiciens extrêmement attentifs et précis. Il explore la richesse sonore que lui offre la première symphonie de Brahms, lui donne de la profondeur en mettant l'accent sur les basses, et peut compter sur l'orchestre pour oser des pianissimi si doux qu'on est pas sûr, depuis l'enclos des places debout, si l'orchestre joue réellement, ou si c'est le fruit de notre imagination. Il se laisse le temps de faire d'énormes crescendi, on sent qu'il connait ses musiciens et qu'inversement ceux-ci comprennent ses moindres gestes: la précision d'attaques est impressionnante et la qualité des vents rare.
Le concerto pour piano n°1 en ré mineur op. 15 a été tout aussi brillamment interprété par l'orchestre, avec des tempi  généreux, permettant à l'orchestre de déployer sa sonorité et au pianiste de montrer sa virtuosité. Buchbinder a su garder sa partie intacte, mais souvent au prix de trop de pédale ou d'un son dur, un peu haineux. Les passages lent, en particulier l'adagio, jouissaient en revanche d'un son très pur, avec beaucoup de poésie, et une parfaite fusion entre l'orchestre et le soliste, à donner les frissons.

mercredi 29 septembre 2010

Cecilia Bartoli et Handel au Theater an der Wien.

Petite pause baroque bienvenue dans mes longues journées d'analyse acharnée de Penthesilea (les limites de la tonalité, moyen ultime et infaillible de vérifier que les acquis d'analyse sont bel et bien acquis) - je vous en parlerai, mais pas maintenant. Un thé fumant (très fumant: je refuse encore d'allumer le chauffage, malgré les 17°C), les messes de Bruckner (Jochum, je vous en parlerai aussi un jour) pour me laver les oreilles et un morceau de chocolat en guise de déjeuner.

Le 12 Septembre dernier, Theater an der Wien (le meilleur opéra de Vienne, qualitativement parlant, je vous rappelle), nous (le petit noyau d'étudiants de musicologie qui passent leurs journées à l'institut, plus précisément devant l'institut, leurs soirs à l'opéra et leurs nuits à boire des bières) avions reçu des places pour la générale de Semele, opéra de Handel un peu oublié. Ce n'est pas le meilleur opéra de Handel, de loin pas, il ne pourrait jamais rivaliser avec un Giulio Cesare, c'est certain. Mais les grands moyens employés par le Theater an der Wien ont permis d'en faire quelque chose de bien, un moment agréable, un moment de détente. Car même si le sujet de Semele est loin d'être comique (Semele  doit épouser un homme, Athamas qu'elle n'aime pas, mais que sa soeur en revanche aime passionnément. Elle supplie Jupiter de la sauver, tombe amoureuse de lui (Jupiter donc), se fait enlever
par lui et vit heureuse sur l'Olympe. Jusqu'à ce que Junon s'en mêle: elle a entendu les plaintes d'Athamas et veut le venger (et se venger par la même occasion, ne soyons pas dupes). Entre temps, Jupiter a fait enlever la soeur de Semele, Ino, afin de lui tenir compagnie. Junon demande à Somnus, dieu des songe, de faire rêver Jupiter de Semele, et se rend auprès de Semele en se faisant passer pour la soeur de celle-ci. Elle lui montre son reflet dans un faut miroir, qui la rend incroyablement belle, et lui demande si ça y est, elle a reçu l'immortalité de Jupiter. Semele se plaint que non, alors Junon lui confie qu'elle doit simplement exiger de Jupiter qu'il se montre à elle sous sa vrai forme. Entre Jupiter, tiraillé de désir pour Semele, qui le repousse et exige de lui la promesse qu'il lui offrira ce qu'elle lui demande. Jupiter jure, Semele réclame de le voir comme il est réellement. Jupiter se lamente et tente de la dissuader, car quiconque le voit dans sa vraie forme est condamné à brûler vif. "Si je me montre à toi, je serai forcé de te faire mal" dixit le chef des dieux. Et Semele de répondre: "ça m'est égal, montre-toi!". Jupiter se montre, Semele part en flammes, orgie donnée par Junon. Rideau.


Birgit Semmert (Junon), photographiée par Armin Bardel

Normalement, car avec Carsen, la fin diffère un peu: dans l'ivresse de l'orgie finale, Junon lorgne le malheureux fiancé, tandis que Jupiter s'intéresse déjà à Ino, la soeur de Semele...
Mise en scène très Carsen, mais pas aussi renversante que celle de L'Inconoratione di Poppea, l'hiver passé. En effet, on oscille entre des grands tableaux tragiques qui frisent le kitsch (voûte étoilée, chants d'amour et soprano parfait de Bartoli) et des scènes franchement comiques, notamment Hera représentée en reine Victoria, et sa secrétaire stressée de la vie. Point négatif aussi, lorsque le régisseur étouffe de rire de manière ostentatoire dans son propre spectacle, c'est exagéré et désagréable. Il aurait tout aussi bien pu tenir une pancarte "je suis un génie".
Musicalement, c'était bien évidemment exceptionnel, Cecilia Bartoli en Semele, c'est le bonheur! On peu remettre en question ses coloratura chanté à un tel rythme que l'orchestre peinait à suivre, mais il n'y a pas un son qui n'aurait pas été parfaitement chanté et déroutant de justesse. Dans l'ensemble de très bons chanteurs, très bons comédiens également, qui font vivre l'opéra à travers leurs rôles bien ressentis. Charles Workman (Jupiter) ne fait pas tout à fait la balance avec Bartoli et semble forcer un peu sur la voix, mais montre beaucoup de finesse dans l'interprétation. On remarquera également Birgit Remmert (Junon) et Kerstin Avemo (Iris, la secrétaire) pour leurs talents de comédiennes.
L'orchestre des Arts florissants, sous la direction de William Christie, s'en est également très bien sorti, peu être parfois en léger déséquilibre avec les chanteurs. Quant à l'Arnold Schönberg Chor, une fois de plus, rien  lui reprocher, une très bonne dynamique, autonome et à l'aise autant dans la musique de Handel que sur scène.

lundi 13 septembre 2010

Taneyev, les symphonies

Nourrir mon macbook avec 8GB de musique, ça ne suffisait pas: il a fallu que je passe chez Caruso, juste comme ça, pour voir s'il y avait des CDs que je cherchais (Schoeck, évidemment) (rien trouvé, évidemment). Mais il y avait plein de belles choses de Marco Polo, le label trobien qui a fait faillite, et dont les disques sont vendu en rab'. Et donc voilà, entre les Szymanovski, Borodine et autres, j'avais de la peine à choisir. Ce fut Taneyev qui remporta la victoire.
Taneyev, Symphonies n°2 et 4
Polish Chamber Orchestra
Gunzenhausen

2009, Marco Polo

****

Serges Ivanovich Taneyev (1856-1915) est un pianiste et compositeur russe, élève et interprète de Tchaikovsky. Il se lie d'amitié avec Turgenev, rencontre Franck et Saint-Saëns, mais aussi Flaubert et Zola, et il fut le professeur de plusieurs grandes figures de la musique russe, dont Glière, Medtner, Rachmaninov et Skriabine.
Après avoir découvert la musique de chambre de Taneyev et avoir écouté l'album en question en boucle, je n'ai pas été déçue par ses symphonies. On est porté par le romantisme qui sent un peu Medtner, mais en restant encore très tonal, un peu sage peut-être. Néanmoins on peut agréablement se plonger dans cette musique généreuse et relativement facile d'accès, mais qui manque parfois un peu de corps.
La symphonie n°4 (1901) est très plaisante, un peu hétéroclite, ce qui lui confère un certain charme spontané, notamment le dernier mouvement, entrecoupé d'un marche militaire tellement légère qu'elle semble en être une parodie, un peu dans l'esprit de l'ironie d'un Shostakovich.
La seconde symphonie (1877)est plus classique dans sa forme, avec une sorte d'ouverture adagio très à la mode dans la seconde moitié du XIXème, mais aussi plus fluide. On sent un compositeur plus jeune, encore très tourné vers son professeur adoré Tchaikovsky. Elle est restée inachevée, sans mouvement final.

L'orchestre joue avec finesse et précision, peut-être un peu trop, on aimerait plus d'élan, que Gunzenhausen doive retenir ses musiciens comme un cavalier freine sa monture trop impétueuse. 

dimanche 12 septembre 2010

Tannhäuser, ou premier opéra après deux mois de pause

J'essaie d'être plus constante, mais comme tout le monde: j'ai une pile d'enregistrements à écouter, de livres à lire, de langues à apprendre et d'expos à visiter, accessoirement je suis sensée étudier et travailler pour gagner les sous nécessaires pour mener à bien la liste de piles mentionnées plus haut. Mais donc, j'essaie.

Après deux mois de pause, j'étais toute impatiente de retourner à la Staatsoper, avec le nouvel intendant et le nouveau directeur artistique, respectivement Dominique Meyer (c'est malgré l'orthographe, un homme) et Franz Welser-Möst (qui dirigeait déjà chaque deuxième opéra de la saison précédente). Ouverture de la saison 2010-2011 avec Tannhäuser, avec les mêmes chanteurs, sinon le génial Gerhaher, remplacé par Matthias Goerne, un peu moins génial (oui quand-même, puisque Gerhaher est le meilleur chanteur du monde et plus). Comme en juin 2010, dans la mise en scène de Claus Guth, avec Johan Botha en Tannhäuser, Anja Kampe en Elisabeth et Welser-Möst au pupitre. Vocalement, Botha a nettement mieux assuré sa partie, tandis que le bariton un peu trop dur de Goerne ne parvenait pas à faire oublier la voix magnifique de Gerhaher. Mais c'est surtout l'orchestre qui a surpris, avec une générosité et une précision u jeu qu'on n'a malheureusement que rarement à l'opéra. Nul doute que pour ce premier opéra de la saison, les Wiener avaient un grand plaisir à jouer, à jouer bien, non seulement proprement, mais avec beaucoup d'émotions, comme s'ils avaient redécouvert Wagner. Nul temps pour s'ennuyer durant ces 4h30.

Et puis comme il ne faut surtout pas chômer, Franz Welser-Möst est venu dans l'église des St-Augustins pour nous (le choeur d'église) diriger. Messe du couronnement de Mozart, selon ses désirs, avec beaucoup de sourires et de surprises.

mercredi 4 août 2010

Mémoires de Hongrie (Sándor Márai)

C'est désormais une évidence, je me suis entichée de cet écrivain hongrois du XXe siècle. De son oeuvre qui s'insère dans le cadre d'une bourgeoisie humaniste qui est morte avec la Seconde Guerre mondiale, à laquelle j'aurais voulu appartenir aussi, sans doute. Troisième ouvrage de Márai, découvert à travers ses Confessions d'un bourgeois, approfondi à travers ses Braises (lu en allemand). Maintenant, j'en suis revenue à ses récits autobiographiques, que je préfère, à ses Mémoires de Hongrie, avec cette magnifique photo de Budapest, de Pest plutôt, pour être précis, prise depuis les hauteurs de Buda, quelque part durant l'entre-deux guerre.


Livre de Poche, 443 pages



Quatrième de couverture:



Antifasciste avant la guerre, "ennemi de classe" sous l'ère soviétique, témoin d'un monde qui se délite, Sandor Marai connut avant son exil officiel vers les États-Unis un tragique exil intérieur. Rédigés vingt ans après les événements évoqués, ces Mémoires composent une fresque saisissante de la Hongrie à une époque cruciale de son histoire et mettent en lumière le trajet bouleversant de l'auteur des Braises. Avec verve et sensibilité, Marai raconte l'entrée victorieuse des chars soviétiques en Hongrie en 1944 et l'instauration du régime communiste. L'écrivain doit se résigner à l'évidence : l'humanisme est assassiné, on assiste au triomphe d'une nouvelle barbarie à laquelle, une fois de plus, le peuple se soumet. Isolé et impuissant, Marai décide de quitter son pays : "Pour la première fois de ma vie, j'éprouvai un terrible sentiment d'angoisse. Je venais de comprendre que j'étais libre. Je fus saisi de peur", écrit-il la nuit de son départ, en 1948.

Mon avis: *****

J'ai adoré. Bon bien sûr, du moment que j'admire profondément Márai, que j'ai une fascination particulière pour l'Europe torturée du XXe siècle et une attirance pour l'Europe de l'Est, et depuis que j'y ai remis les pieds ce printemps, pour la nostalgique Budapest, le contraire eut été surprenant.
Ce livre est une mine d'or pour tous ceux qui s'intéressent à la Hongrie, aux "colonisations soviétiques" des années 50, à la situation de Budapest durant cette période cruciale de 1945-1948. L'auteur narre la cohabitation avec les soldats russes, l'appartement de fortune, la solitude des Hongrois, ce peuple étrange, à cheval entre Orient et Occident, coincé entre les peuples germains et les Slaves, à la recherche fébrile et désespérée de son identité. C'est une histoire de la littérature hongroise aussi, Jókai, Babits, Kosztolányi, Krudy, Vörösmarty, et tant d'autres, chacun est honoré, par quelques vers cités, par des anecdotes, par un chapitre plein d'admiration.
C'est avant tout le cri d'un écrivain, revenu au pays après une visite en occident, parce que sa seule raison d'être, c'est le hongrois, si solitaire dans sa différence avec les autres langues. Cet écrivain qui décide de parler dans sa langue maternelle, de se taire dans sa langue maternelle. Avant d'arriver à la conclusion que rester, c'est courir le danger de succomber aux lavages de cerveaux de la propagande communiste.
Et pour moi, c'est le début d'une découverte: celle de la richesse de la littérature hongroise, de son essence aussi, un peu.

mercredi 28 juillet 2010

Old School meets Young Generation

La musique de chambre reste une particularité du Verbier Festival, qui permet aux meilleurs artistes du monde de se retrouver pour faire de la musique ensemble.

© Julia Wesely
le 20 juillet à l'église de Verbier, c'étaient Rodion Shchedrin, Renaud Capuçon et Mischa Maisky qui se retrouvaient pour jouer Three funny pieces de Shchedrin, trois pièces très drôles (surtout la dernière, l'humoresque, enfin humoristique), que ces trois grands enfants ont beaucoup de plaisir et de malice à faire connaître au public, qui ponctue les inventions loufoque du compositeur par moult rires. Et Maisky de donner le ton d'emblée, en tombant d'un coup avec son tabouret, apparemment mal vissé.

Le ton change, le pianiste aussi: la jeune musicienne géorgienne Khatia Buniatishvili remplace Shchedrin pour le trio N°3 en fa mineur, op.65 de Dvorak, joué avec beaucoup de verve et de précision, mais il manque une idée commune qui porte le tout. Néanmoins une excellente prestation, et l'envie de réentendre, voire de jouer ce trio découvert ce soir-là.

Après l'entracte, on continue à explorer Dvorak, son quatuor pour piano et cordes en Mi bémol Majeur, op. 87. Changement de protagonistes: tout comme le Liederabend du 19 juillet 2010, qui réunissait deux musiciens chevronnés et deux jeunes talents, l'immense Lynn Harrell et le tout petit Menahem Pressler (le premier faisant presque deux fois la taille du second, ce qui donne un côté attendrissant au groupe) encadraient les jeunes Lisa Bathiashvili, qu'on n'a plus besoin de présenter, et Laurence Powell, belle découverte de ce Festival,
en ce qui me concerne. Aux deux jeunes à la technique infaillible et à l'énergie insouciante s'ajoutent les deux anciens, avec leur musicalité hors pair, datant de cette époques révolue où la pensée musicale était plus importante que la pureté du jeu.
© Menahem Pressler 2009
Malgré cette très grande différence d'âge qui les sépare, le quatuor trouve sa propre pensée, c'est un corps avec ses organes multiples, aux caractéristiques différentes, certes, mais qui ont tous pour but de servir l'ensemble, le tout. C'est un moment de très grande musique, et, pour une fois, le public ne se lève pas pour prétendre assister à un concert exceptionnel et pouvoir raconter ce moment historique à ses connaissance une fois de retour à New-York, Londres ou Tokyo. Pour une fois, le public bat des mains parce qu'il ne peut pas faire autrement, et il y a ces sourires de bonheur sur les visages, et la joie de réentendre le mouvement lent. On aurait bien réentendu tout le quatuor, mais les musiciens ont déclinés la demande d'un second bis.

Liederabend, Prégardien en bonus

Deuxième concert à Verbier, cette fois-ci dans le cercle plus restreint de l'église, pour une soirée dédiée aux Lieder de Schubert et Brahms.

© Bavarian State Opera
Le concert commençait avec les aigus de la jeune soprano Sylvia Schwartz pour se terminer dans les graves du baryton Markus Werba, les jeunes étoiles montantes encadrant les deux chanteurs chevronnés que sont Anne Sofie von Otter et Christophe Prégardien (remplaçant Bostridge, pour mon plus grand plaisir). Les pianistes jouant en alternance étaient Kyrill Gerstein, pour Schwartz et Prégardien, et Bengt Forsberg pour von Otter et Werba.

Sylvia Schwartz ouvre donc le concert, avec beaucoup d'émotion, on la sent tendue, mais sans raison: elle traverse les pièces de Brahms avec aisance et un bon son, très clair, très pur, qui lui ressemble, elle qui se tient debout tout en blanc sur la scène, avec ses cheveux foncés qui contrastent avec sa peau blanche, et ses grands yeux plein de candeur. Peut-être un peu trop de vibrato à mon goût, mais nous dirons que c'était dû à sa nervosité. Je ne me souviens pas l'avoir entendue dans un opéra, mais j'arrive très bien à me l'imaginer en héroïne d'un opéra italien, dans un rôle léger, comme Zerlina, ou Oscar.

Anne Sofie von Otter, grande chanteuse que j'admire énormément, meilleur Rosenkavalier qui soit. Elle monte sur scène très vieillie par-rapport à la photo qu'elle a laissé publier, la peau bronzée et le cheveux très blonds. Sa voix aussi est vieillie, et l'émotion ne passe pas réellement, même si c'est chanté très bien, peut-être un peu trop bien, trop poli comme son, et cela tue l'élément vivant des Lieder.

Venait Prégardien, avec Schubert. L'intensité est à son comble déjà dans le premier Lied, Der Zwerg, mais malgré tout, il réussi encore à intensifier son chant, frôlant la limite de la douleur dans Im Bendrot. A ma grande surprise, il enchaîne assez rapidement avec le dernier morceau, dans lequel la tension retombe un peu, pour laisser une chance à Werba.
Le jeune Werba se fait une place, un timbre très beau, chaleureux, et une puissance remarquable, il fera certainement un excellent chanteur d'opéra. Son fort, ce sont plutôt les grands traits lyriques que les fioritures virtuoses, il est plutôt un calibre de grande salle. De lui également, je me promets encore beaucoup.

Quelques pièces jouée en quatre mains par Gerstein et Forsberg, comme des petits intermèdes instrumentals entre les pièces vocales, que j'ai jugé sans grand intérêt, pas que les pianistes aient mal joué, mais simplement qu'il considéraient sans doute eux aussi ces pièces comme secondaires au programme.

mardi 20 juillet 2010

VFCO, Tákacs-Nagy, Argerich, Guerrier et Gringolts, de Haydn à Shchedrin

Ce blog est décidément dans un état léthargique. Pourtant ma vie en ce moment est loin de l'être, puisque j'ai enfin réussi à me glisser dans le staff du Festival de Verbier, et que je suis donc débordée de concerts à écouter. Par exemple: faut-il aller écouter Berlioz , l'ouverture Le Corsaire, Le concerto pour violon et orchestre n°2 de Bartók et Don Quichotte de Strauss (Dutoit, Kavakos, Bashmet et Maisky) ou Lugansky, avec Chopin et le 2ème sonate de Rachmaninov? Est-ce que je pourrais écouter Berlioz et Bartók, et courir à l'autre concert pour entendre Rachmaninov?

Mais parlons un peu de ce que j'ai vu. Rien de moins que la grande Martha, et je suis encore presque stupéfaite d'avoir réussi à l'entendre en live, accompagnée du Verbier Festival Chamber Orchestra et de l'excellent (et beau!) trompettiste David Guerrier, sous la direction du chef hongrois Gábor Tákacs-Nagy, avec qui la pianiste avait déjà collaboré lors du Verbier Festival 2009, pour le concerto pour piano N°2 de Beethoven. A voir, le succès fou de ce concert les a poussé à renouveler l'expérience. J'en suis ravie: le concerto pour piano et trompette n°1 de Shostakovich était brillant de technique, vivacité et finesse. Martha Argerich ne montre pas beaucoup ses émotions, en revanche elle les canalise dans ses doigts qui volent avec une agilité surprenante, et une puissance par moment presque animale. Argerich est cette femme qui semble jouer tout avec amusement, détachement, comme si la partition était un jeu avec l'orchestre et le chef, elle a cette approche riante également pour ce concerto, ce qui colle bien avec la musique de Shostakovich, riante à l'excès, virant dans des rythme durs et obstinés de révolte lorsque le rire n'est plus possible, passages joués avec une intensité qui donne les frissons. Mais ne parlons pas que de Martha - le trompettiste surprend lui aussi avec une palette de son très large et un son d'une douceur qui n'est pas sans rappeler celle du cor, il saute du son brillant typique à son instrument à quelque chose de beaucoup plus voilé et intime, une précision d'attaque et la capacité de se marier avec la sonorité du piano, chose difficile de part les caractéristiques très différentes de ces instruments.

Quant à Gábor Tákacs-Nagy, il est comme toujours souriant, vif, rebondissant, avec beaucoup d'intensité dans le regard, il est quelqu'un qui, comme Bernstein, dirige avant tout avec le visage.


La symphonie en Ut Majeur N°97 de Haydn souffre malheureusement quelque peu de l'orage qui avait décidé de lancer ses grêlons sur la tente à ce moment précis. (merci.), mais on peut deviner que les passages doux était aussi bien jouer que les grands traits, quelques fautes de démarrages dans le premier mouvement, mais dès le second, le Verbier Festival Chamber Orchestra (re)trouve son unité et joue avec une énergie que Tákacs-Nagy doit parfois un peu tempérer.

En seconde partie, le concerto parlando pour violon et trompette et orchestre à cordes de Rodion Shchedrin, compositeur que j'apprécie beaucoup (j'avais ce soir-là une carte à son nom, à côté de lui (vive la coloc qui distribue les tickets aux VIP!)(qui bien souvent ne viennent pas). Concerto dans lequel Shchedrin joue avec des sonorités inattendues issues de l'union entre la trompette (toujours Guerrier) et le violon (Ilya Gringolts). Je retiendrai un très beau passage dans lequel l'orchestre et le violon se fondent et ressortent à tour de rôle - et le sourire du compositeur.

En finale, la première symphonie de Bizet, entendue ce printemps à Vienne, avec un orchestre très connu (Gewandhaus Leipzig? je ne me souviens plus). Le dernier mouvement, sorte de tarentelle, brouhaha que le chef d'orchestre à Vienne tentait vainement d'organiser un peu était joué ici avec une précision époustouflante. Lorsque l'on pense que cet orchestre du Festival de Verbier joue presque chaque soir un programme différent, on peut les applaudir très fort et huer l'orchestre de ce printemps, qui faisait une tournée avec cette symphonie sans se prendre la peine de la travailler vraiment.

Premier concert à Verbier, j'en redemande!

lundi 21 juin 2010

Tannhäuser

J'avais prévu d'écrire ce post en allemand pour faire taire les mauvaises langues qui se plaignent d'être lésées parce que tous mes blogs sont rédigés en français. Mais du coup, mes lecteurs francophones risqueraient de crier à l'injustice. Dilemme. Éventuellement, un jour où je serais super-motivée, par exemple un jour d'été pluvieux, glacial, après avoir tenté d'exposer un opéra en allemand à neuf heures trente du matin, devant une peluche et une coloc' qui sait déjà tout et rigole sous cape, par exemple aujourd'hui, je ferai une version allemande de ce carnet (version que je tiendrai trois articles et demi, mais bon, hein).
Hier soir, après un mois (!) je suis retournée à la Staatsoper pour Tannhäuser. Avec ma coloc'.


Tannhäuser
Richard Wagner
Wiener Staatsoper
20.06.2010, 18:00

Dirigent: Franz Welser-Möst
Inszenierung: Claus Guth
Tannhäuser: Johan Botha
Wolfram: Christian Gerhaher
Hermann: Ain Anger
Elisabeth: Anja Kampe
Venus: Michaela Schuster

Pour cette production de Tannhäuser, la Staatsoper a recouru au metteur en scène Claus Guth pour ouvrir de nouvelles perspectives. L'accueil du public était, lors de la première, plutôt mitigé, mais lors de cette seconde représentation unanimement applaudie. Claus Guth ne propose pas une réforme totale de la mise en scène, il se borne à transposer l'action au XIXe siècle, en adaptant quelques paramètres pour rendre cette "actualisation" plausible. Le choeur des pèlerins devient un choeur de malades mentaux, et Tannhäuser est en réalité possédé, semble scizophrène aussi, et guérit finalement de ses troubles.
La première scène se passe devant et dans un miroir, solution astucieuse pour thématiser la montagne de Vénus. Tannhäuser quitte pour ainsi dire le miroir de ses hallucinations et tente un retour à la normalité. Nous nous trouvons dans une grande salle toute de marbre et de lustres, dans laquelle aura lieu le concours de chant dont le vainqueur gagnera la belle et vertueuse Elisabeth, fille de Hermann. Les concurrents apprennent que Tannhäuser a été victimes d'halucinations, qu'il souffres de troubles mentaux et ce dernier se voit chassé. Il est alors interné dans un hôpital psychiatrique, dans lequel il semble mourir. Elisabeth allume un cierge et se sacrifie pour lui en avalant à pleine mains les médicaments destinés au malade. Entre Wolfram, qui assiste à la mort d'Elisabeth, qu'il aimait en secret. Celui-ci quitte la pièce pour entrer dans la chapelle et songe à se donner la mort, cachant le crucifix sous un banc pour se dérober aux yeux de Dieu. Au moment où il s'apprête à se tuer, Tannhäuser fait irruption sur scène. Il cherche la montagne de Vénus. Wolfram doit apprendre qu'il n'a pas su être guéri et cherche à se protéger contre la folie de Tannhäuser en brandissant le crucifix. Le choeur des internés chante alors la rédemption grâce à Elisabeth, ce qui guérit Tannhäuser de sa folie.
Claus Guth apporte une approche intéressante à l'histoire, mais garde des incohérences au niveau du texte et des actions, notamment le concours de chant, qui n'entre pas dans le côté très froidement réaliste, un peu à la Wozzeck, de la mise en scène.
Musicalement, les chanteurs dans l'ensemble étaient excellents, sinon Botha, que l'on apprécie normalement comme l'un des meilleurs chanteurs de la Staatsoper, et qui a chanté excessivement mal comparé à ce qu'il offre d'habitude. Comme l'a déjà remarqué Laura, la découverte de cet production est sans conteste la voix de Christian Gerhaher. Claire et précise, moins imposante que celle de Botha (la différence du tour de taille?) mais plus fraiche, c'est la voix parfaite du "Jüngling" pur et bon, que l'on aime immédiatement. Il chante sans prétention mais avec un soucis du son et une diction très soignée, et lors des moments d'émotion plus intense, il sait aussi donner plus de puissance et peut alors se mesurer au grand Botha.
L'orchestre, sous la baguette de Welser-Möst, chouchou du public et de la politique de la Staatsoper, a montré une fougue quasi juvénile et une très grande générosité du son, qui était indiscutablement à son apogée lors des grands chants chorals finaux. Peut-être quelques imprécisions rythmiques dans les violoncelles et dans les cuivres parfois.
Dans l'ensemble, comme tous les opéras de Wagner jusqu'ici, une production de haut niveau, dans laquelle on sent le travail qu'il y a eu derrière (contrairement à Tosca ou à la Traviata).

mardi 15 juin 2010

Oblomov (Ivan Goncharov)

Entre les discussions interminables devant l'institut de musicologie, les folies avec ma nouvelle colocataire, les pulsions culinaires, les exposés et le travail jusqu'au petit matin, le temps pour lire s'est réduit à un minimum déjà presque plus vital. D'autant plus que depuis que je vis à Vienne, j'ai troqué mes trois heures de train quotidiennes durant lesquelles j'avalais volontiers une bonne cinquantaine de pages contre dix minutes de bicyclette.
Je doute avoir dépassé les 10 romans lus depuis janvier. Mais au moins, que de bonnes lectures!
Parmi elles, Oblomov, roman que je me réjouissais de lire depuis longtemps, jamais trouvé en librairie jusqu'à ce jour de fin d'hiver où je l'ai découvert dans un bac de livres au rabais. Deux euros pour mon Ilya Ilich!


penguin classics, 496 pages


Quatrième de couverture:

The sly, subversive side of the nineteenth-century Russian literary character -- the one which represents such a contrast to the titanic exertions of Tolstoy and Dostoevsky -- was most fully realized in Ivan Goncharov's 1859 masterpiece, OBLOMOV. This magnificent farce about a gentleman who spends the better part of his life in bed is a reminder of the extent to which humor, in the hands of a comic genius, can be used to explore the absurdities and injustices of a social order.

Mon avis: *****
Je m'attendais à beaucoup, j'ai même encore été surprise en bien. L'histoire est d'une grande finesse, les caractères analysés et décrits avec un soin méticuleux propre à la littérature russe. Oblomov, c'est ce jeune homme doux et intelligent, avachi sur son sofa. Oblomov, c'est ce révolutionnaire du dimanche. Rien ne résiste à sa paresse, toutes les excuses sont bonnes pour repousser le moment où il faudra, d'un geste adroit, glisser les deux pieds simultanément dans les pantoufles. Ivan Goncharov (1812-1891) publie son roman en 1859, et celui-ci jouit immédiatement d'une grande popularité. Oblomov incarne cet aristocrate oisif, tombé dans l'apathie la plus totale, facile à duper en raison de sa paresse. Être ou ne pas être- Oblomov répond non, et seule Olga réussira à le faire douter un peu de cette réponse, sans toutefois parvenir à l'ébranler totalement. La popularité de ce récit est telle que l'on emploie en Russie le terme que l'ami Andrey Stolz invente pour décrire et insulter Ilya Ilich Oblomov: Oblomoverie, en russe Обломовщина (Oblomovshchina), désignant une personne dans un état de profonde inertie, proche du personnage de Goncharov. Un récit qui interpelle, qui dénonce la part d'oblomoverie qui sommeille en chacun de nous, un récit qui oeuvre comme l'ami fidèle, l'allemand Stolz, qui vient réveiller Oblomov: c'est maintenant ou jamais.

samedi 30 janvier 2010

Confessions d'un bourgeois (Sándor Márai)

Intersemestre, nouveau job (à l'opéra!) et donc relative sécurité financière, coloc' gone partying et B. en quarantaine avec sa grippe, tous les astres coïncident pour que je revienne peupler de quelques mots cet espace laissé longtemps à lui-même. Avec une critique d'un livre merveilleux que j'ai malheureusement dû me résoudre à terminer hier soir, grelottant dans mon lit sous la lumière cinglante du plafonnier. J'ai acheté une table de nuit et une lampe de chevet ce matin, et puis j'ai commencé les Trois Mousquetaires. (Mais je ne crois pas que je les terminerai aujourd'hui.)

livre de poche, 571 pages


Quatrième de couverture:

Avec cette grande " histoire de famille " inspirée par la vie des siens, l'écrivain hongrois Sandor Marai (1900-1989) écrit sa Confession d'un enfant du siècle, tout à la fois itinéraire personnel et description subtile de la bourgeoisie hongroise au début du siècle. Marai, intellectuel, voyageur, journaliste à la Frankfurter Zeitung, fréquentant à son heure les cercles de Montparnasse, se souvient de ses ancêtres, riches artisans d'origine saxonne ou morave, des traditions et des idéaux qui ont peu à peu pétri un milieu épris de démocratie et de modernité avant que, à l'image des Buddenbrook de Thomas Mann, son accession au pouvoir et l'oubli de ses devoirs ne le condamnent au déclin. Mêlant mémoires et confessions, retraçant son propre parcours d'artiste, l'auteur de La Conversation de Bolzano et des Révoltés dit sa fidélité aux origines, évoque le bonheur d'une petite ville hongroise de province où cohabitent Hongrois, Allemands, Slovaques, Juifs, et qui prend rapidement la dimension du monde.



Mon avis: *****
Évidemment, j'ai adoré. Déjà rien que le terme "bourgeois", carrément dans le titre. Et puis la période, le XXe siècle naissant. Et l'exotisme de l'auteur - je n'avais encore jamais touché à la littérature hongroise. Sándor Márai nous raconte son enfance entre Kassa et Budapest, dépeint les mœurs de sa ville natale, relate sa vie de bohème à travers l'Europe d'abord, puis le monde. Il y a les femmes qu'il rencontre et qu'il oublie ensuite, les années parisiennes dans l'entre-deux-guerres, les commérages à Pest et les écrivains qui hantent les cafés de Buda. Les souvenirs de grandes vacances à la campagne, la naissance d'une vocation, celle de journaliste, celle d'écrivain. Et cette extraordinaire solitude qui se colle à ses pas.
C'est très bien écrit, cela révèle - Sándor Márai écrivain n'a pas perdu pour autant sa fibre journalistique - des pans entiers d'Histoire, observée sous un tout autre angle, et l'on se retrouve dans son introspection très subtile. Du moins je m'y retrouve!