jeudi 7 février 2013

Tharaud fait un boeuf ou la fascination pour les Années Folles

[chronologiquement, ce billet vient avant celui consacré à Couperin]

Entre les paillettes et les chapeaux cloche, il n'y a qu'à descendre dans la rue pour voir que les années 1920 sont à la mode. Comme par hasard, ma fac propose un cours sur l'entre-deux-guerres. Et comme par hasard, peu avant Noël, je découvrais un CD intitulé Le Boeuf sur le toit : Swinging Paris dans nos bacs, au magasin de disques dans lequel je travaille. Ça tombe à pic : je m'apprête justement à rédiger un travail sur le groupe des Six et le Boeuf sur le toit. J'ai donc dissimulé le CD au milieu du bac pour qu'il survive aux achats compulsifs de Noël et que je puisse l'écouter tranquillement après les fêtes. Je découvre Alexandre Tharaud, et il se trouve que je le kiffe grave sa race. Mais genre vraiment grave. Alors à chaque fois qu'un client passe la porte, j'éteins vite le lecteur, de peur qu'il ne m'achète le disque (oui, je sais...). Parce que ça m'était arrivé une fois, avec un enregistrement de Bach par David Fray ; une cliente, au moment de passer à la caisse, avait décrété : c'est beau ce que vous avez dans le lecteur, je le prendrai aussi. C'était le seul exemplaire qu'on avait au magasin et je n'avais même pas fini de l'écouter, OH! Forcément, maintenant je me méfie.

Label : EMI
Date de parution : 2012
Durée totale : 67'25
Le Boeuf sur le toit. Swinging Paris, Alexandre Tharaud

Donc Alexandre Tharaud, l'homme qui me fait carrément aimer Couperin. Ici, ce sont des arrangements jazzy de grandes pièces de Chopin et Liszt par Clément Doucet, des blues de Jean Wiéner, du Gershwin, des compositions de Ravel et Milhaud pétillantes qui frémissent sous les doigts du pianiste. Et ce sont Bénabar, Juliette, Nathalie Dessay, Madeleine Peyroux Frank Braley et guillaume Gallienne qui se glissent dans la peau des chanteuses et chanteurs qui faisaient vibrer la scène des cabarets, des music-hall et des cafés-concerts des années 20. Le résultat est un condensé de légèreté et qui donne l'impression que les musiciens se sont retrouvés spontanément pour s'amuser ensemble, à l'improviste. Sauf qu'il y a le piano virtuose irréprochable de Tharaud (peut-être un peu trop parfait pour ce type de musique qui se veut plutôt populaire et anti-académique ?) et le choix du programme, qui témoignent du soin avec lequel cet album a été créé. Le toucher de Tharaud, clair et précis comme les cordes pincées d'un clavecin, et le soucis d'une sonorité qui reste ronde et pleine autant dans les petites notes piquées que dans les grands accords, trahissent sa formation classique. C'est donc de la musique de divertissement frottée au savon et rendue adaptée à une salle de concert. Mais peu importe finalement, car la composante principale, la joie simple de jouer, les rires et sourires complices que l'on devine dans la face cachée de l'enregistrement, demeure intacte.
Un album qui fait sourire et diffuse cette insouciance (un peu forcée) des Années Folles.

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PS : Fort de ce succès, EMI fait péter les archives et sort un coffret de 4 CDs autours du mythique duo que formaient les pianistes Clément Doucet et Jean Wiéner, qui sort demain.

samedi 2 février 2013

Tic, toc, choc, le baroque qui a la frite

Je tiens un scoop : J'écoute du Couperin pour le plaisir. Oui, Couperin pour le plaisir. Depuis que j'ai découvert l'enregistrement d'Alexandre Tharaud, je me lève une heure plus tôt pour mettre le disque et retourner sous la couette pour écouter Couperin en poussant des soupirs d'extase. D'ailleurs, à bien réfléchir, je crois que c'est même la première fois de ma vie que je parle de ce compositeur, parce qu'avant Tharaud, il était l'anti-orgasme absolu, un peu comme Scarlatti avant Horowitz. Alors voilà, parlons-en.

Label : Harmonia Mundi
Date de parution : mars 2007
Durée totale : 65'18
Couperin : Tic, toc, choc, Alexandre Tharaud

Pour cet enregistrement, Alexandre Tharaud dit avoir réuni les pièces les plus 'pianistiques' de Couperin, en mettant l'accent sur l'aspect ludique de certaines d'entre elles... (Harmonia mundi) Les barricades mistérieuses, aux airs de préludeouvrent le programme. Un timbre soyeux, épais, lourd et sombre comme du velours, surpris brusquement par les notes cristallines et lumineuses comme des gouttes de rosée étincelant au soleil de Tic, toc, choc ou les maillotins. Clarté des notes répétitives, staccato délicatement ciselé, une pièce virtuose. Tout au long du CD, Alexandre Tharaud semble s'amuser à varier les sonorités comme un acteur qui prend plaisir à interpréter différents personnages. Et il me semble que c'est dans cette joie de jouer que réside tout l'attrait cet enregistrement en particulier et du piano de Tharaud en général. Chaque pièce est une première fois, comme si le pianiste découvrait la musique à l'instant, et cet émerveillement spontané produit un jeu haut en couleurs et d'une sincère fraicheur. Le pianiste raconte d'ailleurs avoir à un moment de sa vie décidé de renoncer à posséder son propre piano et ne travailler plus que chez des amis. Il crée ainsi une situation de manque qui se traduit par une nécessité impérieuse de jouer. Et c'est exactement ainsi que sonne l'enregistrement : ce n'est pas joué "encore une fois", mais "enfin à nouveau".

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Pour les Autrichiens qui se promènent sur ce blog (bonjour !) : Tharaud sera de passage à Vienne avec le concerto pour la main gauche de Ravel, ce sera le 11 mai 2013 à 19:30 au Musikverein