jeudi 24 novembre 2011

En ce moment,

je lis Proust, j'en suis à la moitié et je garde espoir
je prends beaucoup de photos, pour mon job et pour moi
je travaille chaque soir
je bois beaucoup de rouge, et puis des bières aussi
je me demande ce qu'il faut penser d'un livre de Modiano
j'aimerais retourner à l'Albertina regarder cette toile de Chagall encore et encore
je grelotte devant le radiateur paresseux
j'essaie de cuisiner
je devrais me résoudre à rendre mon dossier sur le leitmotiv chez Proust
j'ai hâte de Tannhäuser dimanche prochain à l'opéra
je joue Chopin et déchiffre Bach
je n'écris plus de lettres
je suis des cours de philosophie
j'ai une nouvelle élève de piano qui a une belle intelligence musicale
je ne sais pas si j'arriverai encore à poster sur ce blog
et je vais bien, très bien même.

dimanche 27 mars 2011

L'usage du monde (Nicolas Bouvier)

Première lecture "libre" après la pile de lectures obligatoires pour mes divers cours de littérature.

L'usage du monde

Petite bibliothèque Payot, 418 pages

Quatrième de couverture:

"Un voyage se passe de motifs. Il ne tarde pas à prouver qu'il se suffit à lui-même. On croit qu'on va faire un voyage, mais bientôt c'est le voyage qui vous fait, ou vous défait."
Sa lente et heureuse dérive dans les années 1953-1954 entre Genève et le Khyber Pass en compagnie du peintre Thierry Vernet a inspiré ce livre d'un flâneur émerveillé à Nicolas Bouvier (1929-1998), « un voyageur d'une espèce rare, comme Segalen et Michaux » (Jacques Meunier).


Mon avis: *****

Certainement l'un des plus beaux récits de voyage jamais écrits. L'écrivain suisse Nicolas Bouvier et le peintre Thierry Vernet prennent la route en 1953 pour un voyage à travers les Balkans, la Turquie, l'Iran et l'Afghanistan. Le récit de Bouvier, enrichi des dessins incisifs de Vernet, relate ce périple à travers l'Europe et l'Asie de l'après-guerre. Avec beaucoup de finesse et de tendresse, Bouvier peint le portraits des peuples rencontrés au fil du voyage, les artistes Serbes, les Arméniens méfiants de Tabriz, Quetta et ses barbus avides de revues pornographiques, le tavernier à l'accent d'Oxford, les nuits sans sommeil, le fléau des mouches, la malaria, les pannes, les moments de grâce, l'hospitalité inquisitrice des Persans, et celle réservée des Afghans, les camions peinturlurés, les étoiles sur le plateau désert de Turquie, le froid de Tabriz, les crues, les pistes impraticables, les bruits du bazar de Kaboul, l'enchantement de l'Afghanistan, les melons, la noblesse. Un credo à l'humanité, au voyage comme chemin vers cette humanité. "Comme une eau, le monde vous prête ses couleurs. Puis se retire, et vous replace devant ce vide qu'on porte en soi, devant cette espèce s'insuffisance centrale de l'âme (...)". Le voyage comme expérience de plénitude aussi.

dimanche 30 janvier 2011

Pogorelich et son Rachmaninov sanguinaire

Les Springerkarten* à la dernière minutes, et des places au premier balcon dans le wiener Konzerthaus, le dimanche 16 janvier dernier. Ivo Pogorelich, encore jamais entendu en concert mais qui a gravé quelques CDs que j'aime beaucoup, joue le second concerto de Rachmaninov avec les wiener Symphoniker, sous la direction du chef titulaire Fabio Luisi. Les deux hommes montent sur scène, Pogorelich d'un pas mesuré, poitrine bombée et tête haute. Très très piano, les premiers accords du concerto flottent dans l'air, indécis, et subitement, c'est l'explosion. Les accords sont projetés violemment dans la salle, Luisi talonne son orchestre pour suivre le jeu du pianiste, toujours plus vite, toujours plus fort. C'est un jeu brutal, rauque, une partition douloureuse et révoltée. Si l'interprétation surprend et dérange même dans un premier temps, elle se révèle finalement très intéressante, un do mineur tourmenté jusqu'au seuil de la démence. On est ébloui et comme assommé par ce premier mouvement moderato, et l'on se réjouit du second mouvement, chef d'oeuvre de douceur et de transparence, lumineux et apaisant... mais c'est sans compter Pogorelich. un son dur, une attaque trop nette, des accents semés au gré de ses envie, l'adagio en devient presque méconnaissable, énervé et impatient. Les accents incompréhensibles font ressortir une ligne mélodique totalement nouvelle qui frise l'atonalité. C'est certes une nouvelle approche de l'oeuvre, mais qui ne fait pas de preuve dans ce mouvement où il est évident que c'est le lyrisme qui a la voix au chapitre. Lorsque Pogorelich enchaine pour le dernier mouvement allegro scherzando, il en fait un allegro con fuoco qui donne l'impression désagréable que le pianiste essaie de se débarrasser à la fois de l'orchestre et de son piano, en augmentant la puissance et la vitesse comme s'il s'agissait de vaincre en détruisant tout ce qui l'entoure. Le public, fatigué, applaudira avec même quelques bravos - hommage à la célébrité de Pogorelich - mais ne réclamera pas de bis.
En seconde partie, la 4ème symphonie en mi mineur op. 98 de Brahms ne parviendra pas à captiver totalement l'auditeur. Fabio Luisi fait de son mieux, l'orchestre également, mais la fatigue se fait sentir aussi bien chez les musiciens que du côté du public. Le premier mouvement bénéficie encore d'oreilles attentives, mais l'attention retombe déjà dans le second mouvement, une sorte de marche funèbre, pour laquelle l'orchestre, qui a tout donné pour Rachmaninov, n'a plus assez de présence. Le troisième mouvement, allegro giocoso, réveille la salle par son caractère entraînant, mais les musiciens et le public ne parviennent pas à rester attentifs pour le dernier mouvement. Allegro energico et passionato, c'est beaucoup trop lourd après un tel programme. Programme osé - deux grandes oeuvres exigeantes pas seulement pour les musiciens mais aussi pour le public - et qui, dans cette formation, s'est révélée être désastreuse. On retiendra le premier mouvement du concerto pour piano et les trois premiers mouvements de la symphonie de Brahms, et on s'efforcera d'oublier bien vite le reste.

*cartes où l'on peut s'assoir sur les places restées vides

mardi 11 janvier 2011

Mozart à la Bruckner

Le public du Musikverein avait de quoi s'étonner lors du concert donné samedi 18 décembre dernier dans la grande salle. Les Tonkünstler Niederösterreich ont littéralement envahi la scène et peu s'en est fallu que la masse des musiciens n'engloutisse pas le piano, devenu ridiculement petit face à la grandeur de l'orchestre. On relit rapidement le programme: Mozart, concerto pour piano en Do Majeur, KV 503 et Bruckner, Symphonie N°4 en Mi bémol Majeur. Aucun changement de programme annoncé. Le chef Andreas Delfs, précédé du pianiste Andreas Haefliger, fait son entrée et dirige effectivement Mozart. Face un orchestre déjà en pleine formation pour Bruckner. 

Il ne faut pas long pour que les doutes soient confirmés: faire jouer Mozart par un orchestre de taille wagnérienne, c'est tuer l'essence même du compositeur. La légèreté si caractéristique est alourdie par la masse de musiciens lourde et par son ampleur devenue difficile à manier, et le timbre voilé et trop majestueux assombrit la transparence que nécessite le concerto. Le pianiste doit se battre pour émerger de la masse, avec force et pédale, il s'ensuit un concerto pompeux et dramatique, avec une courte trêve dans le mouvement lent, dans lequel le pianiste, momentanément libéré de l'orchestre, montre toute la finesse de son jeu, qui aurait si bien pu servir la musique tout en délicatesse de Mozart, s'il n'avait pas fallu jouer des pieds et des coudes pour se faire entendre. Le pianiste écourtera par ailleurs les salutations et quittera la scène sans donner de bis.

Rejoint par quatre ou cinq instruments à vent, l'orchestre se lance dans la 4ème de Bruckner. On est d'emblée envouté par le jeune cor à la pureté parfaite, si rare à atteindre avec cet instrument. Une précision et un son qui fond sur la langue projettent l'auditeur dans l'univers sonore brucknérien. L'orchestre suit attentivement le moindre signe d'Andreas Delfs, qui profite de libérer de ses musiciens une palette de couleurs très riche qui viendra étoffer cette grande oeuvre. Le public voyage à la découverte de sons, de couleurs et d'affects, de crescendi en decrescendi parfois inattendus et surprenants. Si l'interprétation reste classique, il ne s'agit pas moins d'une très bonne exécution de l'oeuvre, dont Andreas Delfs, aidé par son orchestre, en particulier par les vents, toujours excellents, saisit les grandes pensées mélodiques qu'il parvient à laisser entières, sans négliger toutefois son sens du détail. Il ne fait pas de doute que la symphonie de Bruckner formait le centre de ce concert alors que le concerto de Mozart n'était qu'un remplissage destiné à donner au concert la durée usuelle.