mardi 23 décembre 2008

Baude Cordier, Belle, bonne, sage: un rondeau au XVe siècle - VI

Analyse de l'œuvre - fin


Jetons un bref regard sur la segmentation des deux parties A et B. Nous constatons que A est structurée en deux sections: quatorze mesures puis sept mesures ; alors que B se divise en neuf mesures puis quatorze mesures. La partie A est donc formée d’un segment long et auquel fait écho une partie plus courte, alors que c’est l’inverse qui se passe dans la partie B, avec une section courte d’abord, longue ensuite.


Exception faite des mélismes qui accentuent la fin des rimes, on ne constate pas réellement de relation sémantique entre le texte et la musique, bien que le rondeau, pièce de divertissement, favorise généralement des liens forts entre texte et musique.


Un passage mérite, me semble-t-il, une attention toute particulière. Il s’agit de la fin de la partie A, plus précisément de la mesure 19. Le dièse qui altère le fa surprend l’oreille de l’auditeur que nous sommes, qui a subitement l’impression de passer du mode de ré à un ré majeur moderne. Pourquoi ce fa dièse ? Dans la partie A, on trouve bien deux altérations, mais il s’agit de do dièse, soit la sensible. Dans la partie B figurent également quelques do diésés et bien sûr le sol dièse, pour la cadence à double sensible. Le fa dièse que l’on voit à la mesure 37 semble là avant tout pour éviter un intervalle de quarte diminuée avec le do dièse du contratenor. Mais à la mesure 19, les deux voix inférieures tiennent un ré à l’octave, ce n’est donc pas pour éviter un triton que Cordier veut un fa dièse.
Si les explications manquent, on peut toutefois affirmer que ce fa dièse agit comme une tache lumineuse inattendue sur cette fin de partie A.

Intéressons-nous maintenant au facsimilé, qui, à notre grand bonheur, nous est parvenu intacte de son voyage au fil des siècles.
La partition écrite par Corder représente un grand cœur. Elle est typique des facsimilés que nous conservons de cette époque et montre très bien jusqu’où la notation maniérée pouvait aller, poussant le souci du beau très loin. La relation entre la dimension visuelle de la partition et son contenu, est évidente et répond aussi à la tendance générale du maniérisme de l’époque, et que l’on peut, sous divers aspect, retrouver dans certaines pages de la musique, à partir de la seconde moitié du XXe siècle. A titre d’exemple, les piécettes du Jatékók de Kurtág.

On notera que les triolets de la mesure 9 représentent les notes rouges. On peut aussi aisément distinguer le signe de changement de mesure là où, à la mesure 11, on passe à un tempus imperfectum cum prolatione imperfecta. Ce qui était traduit par des triolets à la mesure 19, Cordier l’a marqué avec un grand « 3 » au-dessus de la portée. Le O marque le retour à la mesure initiale de [3 ; 2]. Nous distinguons un autre « 3 » et enfin un [9 ; 8], qui correspond à la mesure 44 indique une proportion augmentative assez rare[1], dans laquelle les huit doubles croches de la mesure 44 équivalent les neuf croches de la mesure 43.
Petite touche d’humour avec un dessin de cœur à la place du mot « cuer » de la mesure 34, qui rappelle également la partition elle-même, dont les portées forment le dessin d’un cœur, Baude Cordier prouve que le sérieux des paroles et les fastes de l’écriture de l’ars subtilior ne l’empêchent pas de glisser une blague dans sa composition.

[1] Willi Apel, Notation de la musique polyphonique 900-1600, Sprimont : Mardaga, 1998, p. 369.

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