lundi 30 juin 2008

L'insoutenable légèreté de l'être (Milan Kundera)

Auteur: Milan Kundera
Titre original: Nesnesitelná lehkost bytí
Première parution: 1984
Traduction: François Kérel

Quatrième de couverture:

Qu'est-il resté des agonisants du Cambodge? Une grande photo de la star américaine tenant dans ses bras un enfant jaune. Qu'est-il resté de Tomas? Une inscription: Il voulait le royaume de Dieu sur la terre. Qu'est-il resté de Beethoven? Un homme morose à l'invraisemblable crinière, qui prononce d'une voix sombre: "Es muss sein!" Qu'est-il resté de Franz? Une inscription: Après un long égarement, le retour. Et ainsi de suite, et ainsi de suite. Avant d'être oubliés, nous serons changés en kitsch. Le kitsch, c'est la station intermédiaire entre l'être et l'oubli.


Mon avis:
Vingt-cinq milles étoiles, et encore plus!
Une révolution, une comète nucléaire, un cataclysme, une éruption volcanique que le Vésuve c'était ridicule à côté!!! (j'ai regardé le dernier volet de la trilogie marseillaise de Pagnol hier soir. D'où.)
A cheval entre un essai philosophique et un roman, cet ouvrage a trouvé le juste équilibre entre les deux: ni trop barbant, ni trop frivole. Kundera utilise une histoire qu'il ne raconte pas dans un ordre chronologique, mais dans une logique qui serve aux différentes thématiques qu'il veut aborder. Le récit est toutefois très clairement construit pour que l'on ne s'embrouille jamais dans les évènements.
Les deux grands piliers qui soutiennent cette œuvre sont la mission, la destinée, traduit par le es muss sein! beethovenien d'une part, le besoin de l'homme de créer un monde où règnerait le beau sans le laid, le divin sans la 'merde' (expression de l'auteur, hein!), qui se retrouve dans le mot kitsch.
Les personnages sont mût très tôt par un acte où une situation de leur enfance ou adolescence. Ainsi Sabina, suite à une trahison initiale, est-elle forcée de construire sa vie sur une succession de trahisons. Quant à Tereza, sa répugnance face au manque de pudeur et d'instruction de sa mère, elle cherchera sa vie durant à s'éloigner de l'image de sa mère qu'elle rencontre dans le reflet que lui renvoie le miroir, en cherchant à s'élever, à faire monter son âme à la surface de son corps.
Et finalement cette grande question: l'Histoire et elle cyclique (Nietzsche) ou linéaire? Faut-il de ce fait rechercher la gravité du es muss sein! comme Tomas, ou l'insoutenable légèreté de l'être, à la manière de Sabina?
Je n'ai rien de précis à dire au sujet du style de l'auteur, qui me paraît très neutre, il n'a pas une prose exceptionnelle ni un style très particulier, misant sans doute plus sur le contenu que sur la forme. Mais que peut-on trouver à redire lorsque le contenu est si incroyable?

A lire, absolument!

Kundera, je le pressentais déjà avant de le lire, rejoindra le mausolée de mes favoris, et certainement vais-je devoir instaurer une limitation de lecture pour les livres de l'écrivain tchèque, comme j'ai dû le faire pour les œuvres de Thomas Mann.

L'extrait:
Si chaque seconde de notre vie doit se répéter un nombre infini de fois, nous sommes cloués à l'éternité comme Jésus-Christ à la croix. Cette idée est atroce. Dans le monde de l'éternel retour, chaque geste porte le poids d'une insoutenable responsabilité. C'est ce qui faisait dire à Niezsche que l'idée de l'éternel retour est le plus lourd fardeau (das schwerste Gewicht).

challenge abc musique: pour aller au-delà des mots.

Reprenant le principe du "challenge abc" , littéraire, qui consiste à dresser une liste de 26 livres, soit un auteur par lettre de l'alphabet et de lire les romans listés en 365 jours, je lance ici son homologue musical:

Challenge abc musique.

Les règles du jeu:

Etablir une liste de 26 compositeurs et choisir une œuvre pour chacun.

Ecouter ensuite ces 26 œuvres.
Quand je dis écouter, je sous-entends "comme au concert", pas comme une simple musique de fond plus ou moins agréable.
Les œuvres ne doivent pas nécessairement être nouvelles, par-contre il faut laisser de côté les pièces que vous connaissez par-cœur, le but étant de découvrir et non de rabâcher!


Après chaque écoute rigoureuse (religieuse!), il faut rédiger un commentaire de l'oeuvre.

Libre à vous de comparer plusieurs interprétations de "vos" oeuvres, comparer les oeuvres entre elles, etc.!

Bonne découverte et bonne écoute!






Ma liste:


Albeníz: Sonate pour piano n°4
Bruckner: Sinfonie Nr.4 'Romantische'

Couperin: Treizième Ordre
Dallapiccola: Il PriggionieroEisler: PalmströmFranck: Sonate pour violon en La
Gluck: Iphygénie en Tauride
Handel: Saul
Ives: unanswered question
Janacek: La petite renarde rusée

Korngold:
Liszt:
Rhapsodies hongroises
Medtner:
Nono: Il canto sospeso
Ockeghem:

Pergolesi: Stabat Mater (en cours)
Quentin:
Ravel: Jeux d'eau
Schönberg: Kammersinfonie
Tartini: Les trilles du diable
Ullman: Concerto pour piano
Vladiguerov: Vardar: Rhapsodie bulgare
Wagner: Tristan & Isolde
Xenakis: Jonchaies
Ysaÿe: Sonate pour violon, Op. 27 n°1

Zurkinden: Das Alpenhorn von Riedo (écouté)

Sous réserve de modifications, qui me seront dictées lors de mes prochaines visites à la médiathèque de Fribourg.

_______
Edit:
Suite à un commentaire de Nebelheim, quelqu'un d'autre m'a devancé et a lancé exactement ce même challenge depuis belle lurette. (En même temps, il ne fallait pas non plus une montagne d'imagination pour appliquer ce challenge littéraire à la musique, hein!)
Donc officiellement, cela se passe ici.


samedi 28 juin 2008

Huis clos, suivit de Les mouches (Jean-Paul Sartre)

Auteur: Jean-Paul Sartre
Titre original: Huis Clos / Les mouches
Première parution: 1947
Traduction: -


Quatrième de couverture:

GARCIN: - Le bronze... (Il le caresse.) Eh bien, voici le moment, le bronze est là, je le contemple et je comprends que je suis en enfer. Je vous dis que tout était prévu. Ils avaient prévu que je me tiendrais devant cette cheminée, pressant ma main sur ce bronze, avec tous ces regards sur moi. Tous ces regards me mangent... (Il se retourne brusquement.) Ha! vous n'êtes que deux? Je vous croyais beaucoup plus nombreuses. (Il rit.) Alors, c'est ça, l'enfer. Je n'aurais jamais cru... Vous vous rappelez: le souffre, le bûcher, le gril... Ah! quelle plaisanterie. Pas besoin de gril: l'enfer, c'est les Autres.


Mon avis:
J'ai lu Vian avant de lire Sartre, pour le coup, j'étais très méfiante face celui qui se nomme Jean-Sol Partre dans l'Ecume des jours.
Mais... mais!
Je me suis plongée dans Huis clos, en ayant le sentiment de lire une pièce absurde de Ionesco, avant de comprendre que le décor se situait dans l'imaginaire de l'enfer: un chambre close, une ampoule toujours allumée, une sonnette qui ne marche pas, 3 divans, un bronze, une cheminée, un homme et deux femmes.
Huis clos met au grand jour les ruses de chacun pour s'approprier le dessus face à l'autre. Une lutte de pouvoir, que gagnera celui qui fera les meilleurs coups bas. Sartre évoque le poid de l'Autre, la violence de son regard, la brutalité de ses mots. "L'enfer c'est les Autres". Et cet enfer moral est bien pire que la souffrance physique du feu et du souffre:

L'extrait:
GARCIN: Ouvrez! Ouvrez donc! J'accepte tout: les brodequins, les tenailles, le plomb fondu, les pincettes, le garrot, tout ce qui brûle, tout ce qui déchire, je veux souffrir pour de bon. Plutôt cent morsures, plutôt le fouet, le vitriol, que cette souffrance de tête, ce fantôme de souffrance, qui frôle, qui caresse et qui ne fait jamais assez mal.


[Les mouches]

Mon avis:

Si j'ai beaucoup apprécié Huis clos, j'ai encore plus aimé Les Mouches. Un remake du meurtre d'Egisthe par Oreste. Tout d'abord il y avait la joie inattendue de retrouver l'univers des tragédies grecques, cet univers d'idéal, de destinée fatale, de grandeur, de dieux, de dignité. Cette Grèce antique à la fois brutale et belle.
Sartre évoque la liberté de l'homme, et le prix à payer pour posséder cette liberté. Oreste, par son érudition et son innocence est libre. Libre de tuer Egisthe et Clytemnestre pour venger son père Agamemnon, libre des remords. Mais sa liberté le rend apatride et l'isole du monde comme la lèpre isole le lépreux. Possédé par personne, il ne peut posséder quelque chose... sinon les remords d'être libre.
On pourrait certainement voir dans le parcours d'Oreste une sorte de rite initiatique: l'enfant au visage de fille fait son acte qui le mène dans le monde adulte.
J'ai lu cette pièce d'une traite, trop vite, et j'ai sans doute passé au-dessus d'une foule de symboles et d'éléments très intéressants, d'où cette critique très pauvre et maigrichonne. Il faudra le relire. Mais en attendant, je laisse mûrir la chose et vous quitte avec un extrait:

L'extrait:
ORESTE: Hier, j'étais près d'Electre; tout ta nature se pressait autour de moi; elle chantait ton Bien, la sirène, et me prodiguait les conseils. Pour m'inciter à la douceur, le jour brûlant s'adoucissait comme un regard se voile; pour me prêcher l'oubli des offenses, le ciel s'était fait suave comme un pardon. Ma jeunesse, obéissant à tes ordres, s'était levée, elle se tenait devant mon regard, suppliante comme une fiancée qu'on va délaisser: je voyais ma jeunesse pour la dernière fois. Mais, tout à coup, la liberté a fondu sur moi et m'a transi, la nature a sauté en arrière, et je n'ai plu eu d'âge, et je me suis senti tout seul, au milieu de ton petit monde bénin, comme quelqu'un qui a perdu son ombre! et il n'y a plus rien eu au ciel, ni Bien, ni Mal, ni personne pour me donner des ordres.

mercredi 25 juin 2008

Die Weber (Gerhart Hauptmann)


Auteur: Gerhart Hauptmann
Titre original: Die Weber
Première publication: 1892
Traduction: -

Quatrième de couverture:

Die Weber, das wohl bekannteste Werk des deutschen Dramatikers Gerhart Hauptmann, basiert auf dem 1844 mit Militärgewalt niedergeschlagenen Weberaufstand in Schlesien. Am Beispiel einiger junger Figuren - Parchentfabricant Dreissiger, Weber Moritz Jäger, Pastor Kittelhaus und dem alten Hilse - schildert Hauptmann die Entwicklung des Aufstands bis hin zu seinem blutigen Ende als Drama in fünf Akten.


Mon avis:
Une pièce de théâtre relativement courte (70 pages), mais d'autant plus concentrée.
La compréhension s'avère parfois difficile, les tisserands parlant un Plattdeutsch (l'accent d'Allemagne du Nord, radicalement opposé à mon Schwäbisch lequel me permet par-contre de comprendre très facilement autrichiens, bavarois et autre sudistes) qu'il faut parfois deviner d'après le contexte.
Malgrés la brièveté de la pièce, Hauptmann sait présenter le problème de manière très détaillée, jouant plus sur les diverses interprétations des différents partis (le fabricant, le pasteur, le jeunes tisserands et les vieux tisserands.
On découvre la misère de ce peuple de crève-la-faim, dont le travail rapporte chaque jour un peu moins, leur soumission, leur résignation. Jusqu'au jour où deux jeunes ouvriers relèvent la tête et deviennent les leader des tisserands. Et tout explose, dans les dernières pages.
Un récit très bien mené, très bien documenté et qui pousse à la réflexion. Le style s'inscrit un peu dans le naturalisme à la Zola, avec ses mineurs du nord de la France.

L'extrait:
FRAU HEINRICH, ihrer nicht mehr mächtig, schreit weinend heraus. Meine armen Kinder derhungern m'r! Sie schluchtzt und winselt. Ich weess m'r keen'n Rat nimehr. Ma mag anstell'n, was ma will, ma mag rumlaufen, bis ma liegenbleibt. Ich bin mehr tot wie lebendig, und is doch und is kee Anderschwerden. Neun hungriche Mäuler, die soll eens nu satt machen. Von was d'nn, hä? Nächten Abend hatt ich a Stickl Brot, 's langte noch nich amal fier de zwee Kleenst'n. Wem sollt ich's d'nn geben, hä? Alle schrien sie in mich nein: Mutterle mir, Mutterle mir... Nee, nee! Und dad'rbei kann ich jetzt nich laufen. Was soll erscht wern, wenn ich zum Lieg'n komme? Die paar Kartoffeln hat uns'sWasser mitgenommen. Mir hab'n nischt zu berchen und zu beissen.

mardi 24 juin 2008

La fondation Beyeler voyage entre Paris et New-York avec Fernand Léger

Une affiche au caractère presque martial, quelque chose d'un Pop'Art encore à ses premiers balbutiement...

Ce n'est finalement pas tant l'exposition temporaire consacrée au peintre français Fernand Léger qui nous a fait revenir à Bâle que la promesse des quelques beaux Picasso, Kandinsky et Giacometti que possède la fondation Beyeler.

Lundi matin 08:00, soleil déjà de plomb, les mots croisés dans le train (il me manque notamment une révolution en deux lettres ainsi que le peintre français suivant: ... ... ... r ... g ... ... ... Si quelqu'un trouve!)

Bâle, un train qui couine et frôle la frontière allemande. Basel Badischer Bhf et c'est l'Allemagne à fleur de peau. Puis Riehen, ses belle maison patriciennes, ses cours pavées et ombragées, et cachée au milieu d'un parc luxuriant, la fondation, œuvre de l'architecte Renzo Piano. Un pavillon emmitouflé de fraîcheur, un bassin, des nymphéas roses, des pelouses et une roseraie parfumée.

Sind Sie unter 19? et j'ai la (bête) franchise de répondre que non, on a 21 ans. Et voilà! On aurait pu payer 2.- de moins. Mais.

L'intérieur est extrêmement bien conçu, la lumière filtre à travers le toit, les toiles protégée par un vitrage n'ont pas, comme au Kunstmuseum, la fâcheuse tendance de se cacher derrière des reflets.
D'emblée, nous somme accueillies par deux Van Gogh, puis Degas, Bonnard, un poignée de Picasso, quelques Braque, le gai Kandinsky, les femmes de Matisse, Gauguin, des figurines de Giacometti (le monsieur sur les billets suisses de 1'000.-), Klee, Miró. Et, comme une apparition dans une salle toute blanche, une baie vitrée donnant sur l'étang aux nymphéas et le parc verdoyant, et un grand sofa crème: un triptyque de Monet. Les Nymphéas. Grandiose.

Puis viennent les salles dédiées à Fernand Léger, le grand nom du modernisme avec Picasso et Braque. Bon, soit. Là où Braque et Picasso innovent tout en restant dans le domaine de l'art, Léger prend lui une direction qui pour moi va vers l'image synthétique, le 'design par ordinateur'. Je n'aime pas beaucoup cet art très brut et massif.
L'artiste peintre français était fasciné par le progrès. Cela se retrouve dans ses toiles, dont de nombreuses figurent des éléments de mécanique, de construction, de ville américaine aux mille grattes-ciel. Cet engouement quasi obsessionnel du progrès technique allié au style massif et épuré ne sont pas sans me rappeler les statues de l'URSS stalinienne...

Fernand Léger (1881-1955) originaire du nord de la France, s'inscrit dans les pionniers du cubisme, bien qu'il n'évolue par la suite pas dans la même direction que ses compères Braque et Picasso. En fait de cubisme, il faudrait plutôt parler de 'cylindrisme' ou 'tubisme'. Il y a une volonté très forte de tri dimensionisme et une recherche de couleur très pures, souvent combinées avec diverses nuances de gris. A mon sens, on peut voir en lui le père du Pop'Art.

Au final, mon sentiment face à ce peintre avant-gardiste n'a pas changé, ce qui ne m'a pas empêché d'avoir du plaisir de découvrir un nouvel artiste, lequel a lui aussi, comme Soutine, travaillé à la Ruche. Et puis il y avait la flopée de toiles de la fondations. Et les Nymphéas.

Plus tard, le pic-nic à l'ombre, un semblant de sieste dans l'herbe, le tramway vert, Claraplatz, les librairies et les pieds dans le Rhin. Marktplatz et une glace. Und zurück zum basler Hauptbahnhof. Dans le train, je mémorise les deux premiers vers de mon Pouchkine, et Momo'n me prend mon carnet pour vérifier si t'as bien appris. Elle lit à voix haute sa propre interprétation du cyrillique: Лруг (Droug)= Spuitsh. Rires.

_______________________
Les reproductions:

  1. Affiche de l'exposition: La grande Julie, 1945
  2. L'escalier, 1913
  3. L'équipe au repos (étude pour les Constructeurs), 1950

samedi 21 juin 2008

Crime et Châtiment (Fedor Dostoïevski)

Auteur: Fedor Dostoïevski
Titre original: Преступление и наказание
Première publication: 1866
Traduction: Vladimir Pozner

Quatrième de couverture:

Raskolnikov se mit à trembler de tout son corps comme un homme frappé d'un coup terrible.
- Mais... alors... qui... est l'assassin? balbutia-t-il d'une voix entrecoupée.
Prophyre Petrovitch se renversa sur sa chaise, de l'air d'un homme stupéfait par une question abracadabrante.
- Comment, qui est l'assassin? répéta-t-il comme s'il n'en pouvait croire ses oreilles, mais c'est vous.


Mon avis
Encore un livre acheté pour son rapport qualité-prix, lors d'un passage à la Fnac, en attendant le train. Il faut préciser que j'avais lu quelques années auparavant les fameux Frères Karamazov du même auteur, que j'aime les gros pavés et la littérature russe.
Elles m'en avaient chanté les louanges sur tous les tons.
Et je ne puis que rejoindre leur exaltation (ouh là, je sors le grand vocabulaire du dimanche!) quant à ce livre. C'est (presque) une bible, vraiment.
En ce qui concerne le style, j'ai beaucoup d'affinités avec ce genre très intellectuel, précis sans être fastidieux, passionné sans sombrer dans un pathos excessif, raffiné sans être trop maniéré.
Du côté du contenu, on connait Dostoïevski: des questionnements philosophiques très intéressants et toujours actuels, des personnages extrêmement recherchés, qui ne tombent pas dans les clichés (une exception peut-être pour Sonia, la petite prostituée, secourable, humble, douce et aimante), et dont la psychologie est très minutieusement établie.
Les passages soulignés se multiplient, avec, au crayon, dans la marge: à méditer! Les questions que Rodion Romanovitch Raskolnikov, Prophyre Petrovitch, Sonia ou Razoumikhine se posent, ils nous les posent à nous aussi: Le crime peut-il être moralement légitimé?

Un très bon roman, à lire absolument. Et certainement aussi plus évident à lire que les grands Frères Karamazov. Un roman qui se savoure et qui doit prendre son temps.

Je vous laisse avec cette courte citation, tirée d'une des nombreuses conversations entre Rodion Romanivitch et Prophyre Petrovitch:

"La souffrance, la douleur sont inséparables d'une haute intelligence, d'un grand coeur. Les vrais grands hommes doivent, me semble-t-il, éprouver une immense tristesse sur terre (...)"

vendredi 20 juin 2008

Poème de juillet: Ziméié outro - Alexander Pushkin

Sa lettre est arrivée, mais le tampon était de Hampton, et non d'Astrakhan.
Je lui avais dit qu'il fallait vraiment que j'apprenne le russe. Il m'a dit 'good luck, the russian grammar is more difficult than the german or english grammar'. La vieille méthode datant des dernières années de l'URSS a rejoint la Bible et Dostoïevski à côté du lit, Tania et Anton sont retournés à Yalta chez Babouchka et Diédouchka, expliquer le russe aux francophones.
Quant à moi, j'ai fouillé dans ma mémoire pour en extirper le titre d'un poème de Pouchkine lu en cours de russe, au lycée.
Ziméié outro - matin d'hiver.
Ce n'est pas de saison, mais les mots ne sont-ils pas sensé nous faire voyager - dans l'espace et le temps?


ЗИМНЕЕ УТРО.

Мороз и солнце; день чудесный!
Еще ты дремлешь, друг прелестный -
Пора, красавица, проснись:
Открой сомкнуты негой взоры
Навстречу северной Авроры,
Звездою севера явись!

Вечор, ты помнишь, вьюга злилась,
На мутном небе мгла носилась;
Луна, как бледное пятно,
Сквозь тучи мрачные желтела,
И ты печальная сидела —
А нынче..... погляди в окно:

Под голубыми небесами
Великолепными коврами,
Блестя на солнце, снег лежит;
Прозрачный лес один чернеет,
И ель сквозь иней зеленеет,
И речка подо льдом блестит.

Вся комната янтарным блеском
зарена. Веселым треском
Трещит затопленная печь.
Приятно думать у лежанки.

Но знаешь: не велеть ли в санки
Кобылку бурую запречь?

Скользя по утреннему снегу,
Друг милый, предадимся бегу
Нетерпеливого коня
И навестим поля пустые,
Леса, недавно столь густые,
И берег, милый для меня.

image: Sisley
Effet de neige à Argenteuil

mercredi 18 juin 2008

Soutine expose ses couleurs à Bâle

Chaïm Soutine, un peintre dont je connaissais tout au plus le nom, deux paysages et une nature morte.

Le Kunstmuseum Basel dédie son printemps 2008 au peintre de viande et de visages colorés et déformés.
De mon côté, les examens ne sont plus qu'un pâle souvenir, et les jours ont pris la saveur de l'été (plus que la météo, d'ailleurs).
Les "grandes vacances" estivales riment pour ma part bien souvent avec ennui et oisiveté déprimante. Or l'été, ce sont les festivals musicaux à foison (rien qu'en Suisse, on citera Verbier, Lucerne, Avenches, Zurich, St-Ursanne...), les longs jours propices à la visite de villes proches ou lointaines, les expositions temporaires ou permanentes pour lesquelles enfin le temps semble suffire, les excursions spontanées avec nuits sous tente...
Une foule de choses.
Et lorsque l'on a la chance d'avoir une voisine qui partage notre intérêt pour la peinture, la musique, la culture et l'architecture, qui, en plus d'avoir le même âge, est aussi une personne que l'on apprécie depuis toujours (comptez mon âge moins trois ans: 18 ans), eh bien on fait une liste interminable de choses à faire, et on saute dans le premier train pour inaugurer le programme.

Première étape donc, Basel Basel, Basel a mim Rhy! Kunstmuseum. Sortir du tramway vert, traverser des routes, découvrir St-Alban et ses rives du Rhin, l'endroit est par trop désert, revenir en arrière, monter des escaliers, se retrouver exactement à l'arrêt de tramway quitté quelques minutes auparavant et constater dans un éclat de rire que le musée se trouvait juste de l'autre côté de l'arrêt.

L'intérieur lumineux des musées d'art, les grands maîtres qui se tiennent compagnie. Renoir, Courbet, Manet, Braque, Munch, Pissaro, Monet, Kandinsky, Picasso, Miró, Robert, Giacometti, Dalí, Klee, Modigliani, Géricault, Chagall et tant d'autres. Le temps file comme une feuille morte entraînée par le vent.
Et Soutine, enfin.

Chaïm Soutine (1893-1943) est un artiste juif né en Ukraine et mort à Paris, où s'est concentré l'essentiel de son travail. Issu d'une famille pauvre, il fera ses études de beaux-arts à Vilnius, avant d'émigrer à Paris, en 1913. Il s'installera à la Ruche, où il aura notamment pour voisins Modigliani et Chagall.

Sa technique ne s'apparente à aucun des mouvements dominants de l'époque, tel que le cubisme ou le dadaïsme. Tout au plus Soutine reprend-t-il quelques éléments du fauvisme. Les couleurs sont vives, les traits généreux, l'émotion est à fleur de peau et les toiles dégagent une intensité presque palpable.

Soutine, c'est les visages aux regards livides et anxieux, les canards et les bœufs écorchés aux entrailles comme un feu d'artifice, les villages aux rues sinueuses et oppressantes, les maisons aux perspectives faussées qui nous font perdre nos repères.

Soutine, c'est un homme angoissé, timide, solitaire, affamé, pauvre, introverti. Son œuvre semble être pleine de ses peurs, ses espoirs et ses souffrances au point de suinter cette émotion et dire tout ce que cet homme si sensible et si secret ne confiait à personne d'autre qu'à ses toiles. La Russe à Paris l'exprime en d'autres termes:

Les peintures de Soutine vous transpercent autant que l'histoire de sa vie, ensuite, à chacun de trouver son approche pour apprécier son oeuvre. Soutine remonte sur la surface de ses tableaux quelque chose de si profond, quelque chose de la bête humaine qui nous dérange et fascine à la fois. Tout comme ce personnage passionné, tourmenté, reconnu mais si seul, qui meurt si tôt, ne pouvant être soigné pendant l'occupation.
Il y a comme une urgence de vivre, un besoin pressant de peindre, de colorier le monde, et toujours cette angoisse et cette incertitude.

Courez, courez, mes amis.
Soutine est un grand maître, il mérite d'être apprécié et connu à sa juste valeur: "Derrière son cercueil ne marchait qu'une seule personne. C'était Picasso." (toujours Daria)

____________________
Les reproductions:
  1. L'affiche du Kunstmuseum
  2. Vue de Céret
  3. Clocher à Céret
  4. Le Bœuf écorché
  5. L'Enfant au jouet
  6. Chaïm Soutine
  7. Grotesque (autoportait)

____________________
Pour aller plus loin:

Anecdotes chez le lorgnon mélancolique
Article sur Wikipédia


jeudi 12 juin 2008

L'image du mois: Nymphéas - Claude Monet

Les nymphéas.
Il faut préciser d'emblée que les nymphéas de Monet et moi, c'est tout une histoire, une vieille histoire - enfin tout est relatif, mais disons une histoire plus vieille que moi.
Ma mère a apparemment beaucoup aimé cette série de tableaux de l'impressionniste français, à tel point qu'apprenant qu'elle était enceinte d'une fille, elle a décidé que sa progéniture porterait le nom de ces célèbres toiles, Nymphéa.

Car oui, en plus de m'appeler Lavinie - qui sait, peut-être y avait-il quelques autre Lavinie dans le monde dont il aurait fallu me démarquer? - je porte aussi le nom exotique de Nymphéa.
Assez choquée lorsque j'avais appris cela en lisant l'étiquette que mes parents avaient collé sur ma luge, il y a de cela près de 15 ans, j'ai fini par m'y faire, et même, pourquoi pas, à regretter que ce nom poétique ne soit pas le premier. Avouez, avec son y, son ph et son é, ce nom a un charme fou!

Bref, voilà pour la petite introduction (notez que mes introductions ne prennent pas encore l'ampleur de celles d'Aleks).

Les Nymphéas, Claude Monet, 1907, huile sur toile. (dimensions et collection inconnue)

La série de toiles de grands format intitulées Nymphéas a été réalisée par le chef de file du mouvement impressionniste durant les dernières décennies de sa vie.
Dès 1883, Claude Monet vivait retiré dans sa propriété de Giverny, dans le nord de la France, entre Rouen et Paris, avec sa famille. Il a aménagé ses terres pour faire naître le magnifique jardin décoratif que l'on peut aujourd'hui encore visiter, et a entre autre procédé à la création d'un jardin d'eau qui l'a inspiré pour un grand nombre de ses œuvres tardives regroupées sous le nom de Nymphéas.
Malheureusement, il semblerait que j'aie choisi une toile fantôme, puisqu'il semble impossible de trouver la moindre indication quant à ses dimensions et que plusieurs collections américaines se réclament la toile, alors qu'elle ne figure dans aucun de leurs catalogues...
Une œuvre pleine de poésie et de tranquillité. Le bruissement des feuilles, le parfum d'une nuit d'été mêlé à celui de l'eau immobile et fraîche, et les reflets qui favorisent la rêverie.

Une vue que Claude Monet semble avoir utilisé plusieurs fois, jouant avec la clarté et les nuances du ciel reflété entre les nymphéas.

_________________________
Bibliographie:

Wendy BECKETT, The Story of Painting, London: Dorling Kindersley Limited, 1994.
Le mouvement impressioniste et ses plus grands peintres

mardi 10 juin 2008

Et l'oeil était dans la tombe et regardait Caïn.

Vous avez sans doute vous aussi entendu parler de ce livre polémique de David Levy. Love + Sex With Robots - que je n'ai pas (encore?) lu - c'est imaginer qu'il est réellement possible, et même fort probable, que l'homme en arrive .
De même que nous avons fini par prendre goût aux menus surgelés fait industriellement, de même viendra le jour où nous prendrons plaisir à aimer et partager le lit avec un homme fait industriellement. D'ailleurs... A voir le succès de tous les sex-toys (aïe, avec ces mots, je vais m'attirer tous les internautes pervers de la blogosphère), il est peu vraisemblable que les hommes et les femmes aient des problèmes à se procurer du plaisir via un objet "industriel".
Pour ma part, je crains ne devoir donner raison à l'auteur, tout monstrueux que cela puisse paraître. Je suis intimement convaincue que cela arrivera, tôt ou tard, selon les avancées de la science et le changement des mentalités.
Outre le débat moraliste de savoir s'il faut ou ne faut pas, les propos de David Levy soulèvent en moi une interrogation:

Si les robots travaillent, procréent et aiment: à quoi servira l'Homme désormais?

Dans une interview publiée dans un journal fort médiocre - que je n'ai ouvert que parce qu'il y avait un article qui n'avait pas trait à l'Eurofoot (marre, marre, marre!) et dont l'image montrait une bonne bouille de Juif (j'ai un faible très certain pour la physionomie sémite, que je trouve d'une noblesse incomparable) - David Levy parlait de son livre. A la question du journaliste, qui rit que l'on puisse considérer que les robots aient une conscience, Levy rapporte qu'outre-Atlantique, des juristes s'étaient effectivement demandés si et dans quelles circonstances on avait le droit d'arrêter des robots. Il rapporte alors cette anecdote personnelle:

"Une fois, j'ai organisé un jeu au cours duquel un robot affrontait un de mes amis. Cet ami, très religieux, était persuadé qu'il allait gagner. 'Pourquoi?' lui a-t-on demandé. 'Mon rival a été programmé par des homme, a-t-il répondu, mais moi, j'ai été fait par Dieu. Or, si l'homme a été programmé par Dieu et qu'il a une conscience, pourquoi un robot programmé par un homme ne pourrait-il pas développer à son tour une conscience?"


Ce qui nous amène à ce qui me préoccupe: Dieu a créé l'homme. Cet homme, primitif, était dépendant de son Créateur. Jusque là tout va bien. Puis viens la Chute, Ève, la pomme et le serpent, et l'homme s'éloigne de plus en plus de son Programmateur. Et aujourd'hui, il a oublié son Créateur, ne l'écoute ni ne le respecte.
Et les robots, que nous allons créer à notre image comme jadis nous-même avions été créés à l'image de Dieu? Pour quelles raisons seraient-ils plus gentils que nous et ne nous infligeraient-ils pas ce que nous avons fait à Dieu?

Pour moi, lorsque les robots seront devenus indépendant - ils le seront - nous, pauvres humains mortels ridicules et arriérés, nous seront comme ce Dieu de nos ancêtre, inutiles et ennuyant.
Inutiles et ennuyant. Et nous n'aurons plus de place dans ce monde.

Je ne cherche pas à faire de la polémique, pas plus que je ne cherche à éviter le débat. Je pense sincèrement ce que je dis, bien que j'aimerais évidemment avoir une vision plus optimiste de l'avenir.
Les Aliens qui débarquent d'une lointaine planète, j'y crois aussi peu que vous. Nos Aliens, ils nous viennent façonnés de nos propres mains. Cruelle ironie.

Voilà. Cela m'intéresserait vraiment d'avoir des échos, de connaître vos avis. J'ai hésité à lancer le débat à l'université, puis je me suis ravisée: nous étions sur le point de passer un oral sur Monteverdi. Et puis mes chers collègue étudiants ne s'intéressent pas trop à mes questionnements je crois. Du moins, la dernière fois que j'avais tenté un débat, on m'avait regardé de travers...

______________
pour aller plus loin:

Interview de David Levy
Sex and marriage with robots? It could happen
critique du livre Love + Sex With Robots
article sur Aujourd'hui le Japon

samedi 7 juin 2008

Ballade op.118: qui est le plus Brahmsien?

Voici enfin la note promise depuis quelques semaines, au sujet des diverses interprétations de la Ballade op.118 de Brahms que l'on trouve sur youtube.
J'en ai écouté quelques unes, une sorte de sélection de tout et n'importe quoi mis à disposition sur internet.
J'ai retenu quatre noms:
trois grandes figure du piano, Lugansky, Kissin et Pogorelich, et un jeune lauréat du concours Viotti, Cathal Breslin.

Kissin:

trop lourd, trop rubato, trop collant et pâteux. J'ai beaucoup de peine avec son Brahms mou, ventru et à la respiration difficile. C'est gros, gras et fatigué, le tempo est excessivement lent et de toute manière pas usé de façon adéquate. non, vraiment, je ne sais pas ce qui s'est passé dans l'esprit d'Evgeny Kissin au moment où il à joué cela. Peut-être l'air était-il lourd et moite ou son repas trop copieux? Il a trop bu, mal dormi, perdu sa brosse à dent ou son poisson rouge?
Ma critique est d'autant plus virulente que j'ai beaucoup d'affection et d'affinité avec son jeu. Sa troisième Ballade de Chopin a le pouvoir de m'envoyer à l'hôpital, ses Tableaux me font le plus vif effet. Et il joue un Brahms aussi médiocre!...
je suis dure avec lui, parce que je sais qu'il sait faire mieux. Le cas échéant, ce serait juste une démolition en bonne et due forme, sans aucun intérêt ni pour moi ni pour le pianiste en question. Et un perte de temps.

Pogorelich:

trop hâché. Autant Kissin était mielleux et coulant, autant Pogorelich devrait jouer plus près du clavier et se souvenir que la pédale n'est pas là pour faire joli. La partie lente, en revanche, très introvertie, simple, calme et légère, forme un agréable contraste avec les claquements secs du premier thème. Cette partie paisible est l'une de mes favorite et fait une très sérieuse concurrence à l'interprétation qu'en donne Lugansky.

Brelsin:

fluide mais sans perdre de caractère, il est peu-être un peu trop sec et trop disparate. J'ai le sentiment qu'il peine à avoir une vision global de cette ballade, qu'il hésite encore entre différents affects. Mais dans l'ensemble, son jeu est assez proche de celui de Lugansky, ce qui est évidemment un beau compliment. Un peu de maturité encore et sa 3ème Ballade Op.118 sera brillante.

Lugansky:

tempo très vif, jeu précis et fluide. Il va "tout droit", utilise très peu le rubato, mais en tire une fraîcheur et un naturel magnifique. Tout semble couler de source, facile et évident, le discours musical reste uni et cohérent tout au long de la pièce, et il assume parfaitement la rapidité de son jeu. En ce qui me concerne, cette interprétation de Lugansky est ma référence. (Malheureusement pour moi, il n'existe qu'un DVD de cet opus 118 par Lugansky...)

_____________________
Pour aller plus loin:

Evgeny Kissin - (3)
Nikolaï Lugansky - (1,2,3,4,5,6)
Ivo Pogorelich - (3)
Cathal Breslin - (1,2; 2,3,5, 6)

jeudi 5 juin 2008

Abschiedskonzert: Alfred Brendel mit standing ovations bejubelt

Tonhalle Zürich, 31.05.2008, 19:30

La lumière de cette fin de jour d'été entre en faisceaux obliques dans la Tonhalle joliment ouvragée, qui baigne dans une lueur dorée et grandiose, comme une gigantesque cathédrale florentine. Les auditeurs prennent place, la salle est pleine à craquer, le public est majoritairement composé de retraités.
Jeunes musiciens et étudiants, où êtes-vous?
Une belle tension plane au-dessus des visages tournés, palpitant, vers la scène dépouillée.
Ce soir, le grand maître ne nous offrira pas moins de trois sonates et des variations. Un programme conséquent et ambitieux.
Le pianiste aux lunettes épaisses s'avance lentement vers sa seconde moitié, le grand piano qui trône au centre de l'estrade.
Simon et moi nous trouvons au dernier rang de la galerie, et, comme nos collègues de dernière catégorie, nous nous levons, pour voir le jeu du maestro.


Haydn: Variationen in f-moll, Hob XVII/6
Dès les premières notes, on est frappé par la finesse et la précision du toucher de Brendel - même si j'avais déjà décidé, depuis son récital au Lucerne Festival de novembre dernier, qu'il avait le plus beau son de l'univers pianistique. Brendel, c'est la lumière qui jailli de ses doigts, c'est une seule note qui peut vous amener à l'extase.
Je voudrais souligner ici la richesse imaginative et inventive dont le pianiste fait preuve dans ces variations. En général, je n'aime pas spécialement les variations, j'ai tendance à m'ennuyer au bout de la 4ème variation, or, ce soir, chaque variation est jouée tellement différemment que j'en viens presque à oublier qu'il s'agit de variations, et les applaudissements à la fin me surprennent tant que je chuchote à Simon, interloquée: "pourquoi les gens applaudissent-ils au milieu de la pièce?"

Mozart: Klaviersonate in F-Dur, KV 533
Mozart. Comme je l'ai dit, Mozart et moi, nous ne sommes pas très copains. Sauf quand c'est joué par Brendel. Lui, il peut. Je ne vais certes pas me mettre dans tous mes états, comme avec du Chopin, mais enfin, j'y trouve du plaisir malgré tout.
Sa sonate est très traditionnelle si je puis dire, pas du tout comme la vision assez sombre que nous avons pu écouter le soir suivant avec Kissin et la Kremerata Baltica. Vif, aérien, pétillant. Dans mon carnet, j'ai noté: "Ses ornements sont comme des jeux de lumière, comme le miroitement du soleil sur l'eau". Une mention particulière pour le deuxième mouvement, dans lequel Alfred Brendel a pu pleinement nous faire apprécier la beauté de son son si accompli. Il a su tenir sur la longueur et faire durer l'émotion de la première à la dernière note de ce mouvement lent qui donnait les frissons.

Beethoven: Klaviersonate in Es-Dur "Quasi una fantasia", Op. 27, Nr. 1
Suivait un Beethoven très engagé, ce qui, venant de ce pianiste au jeu que je trouve généralement très intellectuel, m'a agréablement surpris. Un engagement qui lui a coûté quelques imperfections, qui, loin d'être gênantes, ont donné à ce Beethoven tout la spontanéité que l'on peut attendre de Beethoven, et encore plus d'une sonate "quasi una fantasia". Le pianiste s'est lâché, libéré de ses interprétations réfléchies et cérébrales pour simplement vivre pleinement cette très belle sonate de Beethoven. C'était très fort, et, malgré plus d'une heure debout, immobile dans mes chaussures inconfortables, je n'ai pas vu le temps passer.

Schubert: Klaviersonate in B-Dur
Faut-il tenter de poser des mots sur cette interprétation?
En cheminant vers la Tonhalle, Simon me disait que Brendel était devenu célèbre par son Schubert. Je veux bien le croire!
Cette très grande sonate était simplement vollkommen.
Il n'y avait plus rien à dire, plus rien à ajouter. Tout était accompli. On aurait voulu que cela ne s'arrête jamais, plus jamais. Vraiment.
Le mouvement I était subtile, intense et doux, le second mouvement calme, simple, lumineux, sans faux pathos, le mouvement III joyeux, souriant, espiègle, léger comme une brise d'été, et le finale très intense, comme le turquoise sombre d'une eau pure et profonde, comme l'immensité d'un ciel étoilé.

Après une telle prestation, comment ne pas offrir une standing ovation au pianiste qui prend sa retraite? L'émotion était à son comble lorsque le public s'est levé d'un seul homme, dans des applaudissements frénétiques.

Nous avons eu droit à trois bis - trois bis! - et à chaque fois, je me disais que c'était le dernier.
Tout d'abord le deuxième mouvement du concerto italien de Bach, qui m'a étonné par l'usage de la pédale, moi, puriste pour qui Bach = pas de pédale, à quelques rares exceptions près.
Puis un peu de Liszt, avec Au lac de Wallenstadt, la seconde pièce des Années de pèlerinage I, dont je possède par ailleurs un enregistrement par Brendel lui-même. La pièce a mûri, est devenue plus libre, plus rubato, je la préfère telle qu'il la joue maintenant. Un sentiment vaguement étrange d'entendre en "vrai" une partition écoutée tant de fois à la maison.
Alfred Brendel m'a ensuite fait le plus beau cadeau qui soit, en nous offrant, comme troisième et dernier bis, l'Impromptu en Sol bémol Majeur de Schubert, que j'avais découvert sur internet jouée par lui-même, et qui m'avait laissé une vive impression. Mais jamais je n'avais imaginé l'entendre une fois, lui, en live, jouer cet impromptu.
J'étais out of my mind, et pendant plusieurs minutes qui ont suivi, je n'étais plus capable de penser par moi-même.

Merci pour ce grand moment de musique.

PS pour Simon: Alfred Brendel a été jeune une fois! J'ai trouvé un extrait où on le voit avec des cheveux qui ne sont pas gris! (ici, pour réentendre son superbe accent autrichien comme lors de sa petite blague "Jetzt muss ich mich nochmal konzentrieren, sonst schreibe ich am Ende noch Kissin!" et ici pour rigoler un peu)

_______________
critique dans le Tagesblatt
critique dans la Frankfurter Allgemeine

mercredi 4 juin 2008

Poème de juin: La Rose et le Réséda - Louis Aragon

Une idée reprise de Nebelheim, parce qu'un poème par semaine, c'était un changement trop rapide pour moi. Lorsque je découvre un poème, j'ai besoin de le garder avec moi, de l'explorer sous toutes ses coutures, de le réciter, le chanter, goûter sa sonorité dans ma bouche, le faire mien. Or avec mes multiples activités, une semaine est un laps de temps bien trop court pour apprendre à apprécier vraiment un poème.
Le poème du mois, c'est donc une page que je vais garder sur moi pendant une trentaine de jours, que je vais murmurer dans la nuit, dessiner dans mon journal, tracer sur la buée d'une vitre, réciter en jouant du piano.

Pour cette première édition, j'ai choisi un poème qui m'est très très cher.
C'était à la fin de l'automne, par l'une de ces mornes après-midi sombres sombres et nues de novembre. J'avais visionné l'un de mes films préférés, Un Monde presque paisible, qui retrace le quotidien dans un atelier de tailleurs juifs de Paris, une année après la Shoah. Ce poème est récité à la fin, par une quinzaine d'enfants.


La Rose et le Réséda
tiré de La Diane française
- Louis Aragon -

Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Tous deux adoraient la belle
Prisonnière des soldats
Lequel montait à l'échelle
Et lequel guettait en bas
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Qu'importe comment s'appelle
Cette clarté sur leur pas
Que l'un fut de la chapelle
Et l'autre s'y dérobât
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Tous les deux étaient fidèles
Des lèvres du coeur des bras
Et tous les deux disaient qu'elle
Vive et qui vivra verra
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Quand les blés sont sous la grêle
Fou qui fait le délicat
Fou qui songe à ses querelles
Au coeur du commun combat
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Du haut de la citadelle
La sentinelle tira
Par deux fois et l'un chancelle
L'autre tombe qui mourra
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Ils sont en prison Lequel
A le plus triste grabat
Lequel plus que l'autre gèle
Lequel préfère les rats
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Un rebelle est un rebelle
Nos sanglots font un seul glas
Et quand vient l'aube cruelle
Passent de vie à trépas
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Répétant le nom de celle
Qu'aucun des deux ne trompa
Et leur sang rouge ruisselle
Même couleur même éclat
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Il coule, il coule, il se mêle
À la terre qu'il aima
Pour qu'à la saison nouvelle
Mûrisse un raisin muscat
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
L'un court et l'autre a des ailes
De Bretagne ou du Jura
Et framboise ou mirabelle
Le grillon rechantera
Dites flûte ou violoncelle
Le double amour qui brûla
L'alouette et l'hirondelle
La rose et le réséda

image: Klimt,
Rosen unter Baümen

mardi 3 juin 2008

Evgeny Kissin et Kremerata Baltica ou l'autre visage de Mozart

Tonhalle Zürich, 01.06.2008, 19:30

Ça y est enfin. C'est arrivé vite, et j'ai dû patienter si longtemps. Mais ce soir, ça y est, j'entre dans la Tonhalle, je monte à la galerie, trouve ma place, la respiration qui s'accélère en apercevant le grand piano noir, si proche.
Les jeunes musiciens de la Kremerata Baltica prennent place sous les applaudissements chaleureux du public.
Silence.
* Ca y est, cela devait arriver: il aura eu un problème de dernière minute, le directeur de la Tonhalle va monter sur scène nous annoncer que. *
Soudain, un frémissement, et, sous un tonnerre d'applaudissements, le grand virtuose russe se fraye un chemin jusqu'à son instrument.
* ouf! *


Mozart: Klavierkonzert Nr 20 in d-moll
L'orchestre, dont les deux premiers violons alternent dans la fonction de chef d'attaque, se lance dans un Mozart surprenant. Sombre, dubitatif, passionné, fougueux. Evgeny Kissin suit le ton donné, allant jusqu'à jouer un Mozart déjà très profondément romantique, un Mozart diamétralement opposé à celui, très Wienerklassik d'Alfred Brendel, le soir d'avant. Ce soir, c'est un Mozart dont la luminosité gaie et insouciante est voilée par une sorte de questionnement intérieur mélancolique, et même, lors de la première cadenza notamment, un Mozart énergique, têtu, exaspéré, qui tape du pied et s'énerve. Cette première cadenza, c'est Beethoven plays Mozart - à tel point que je me demande qui a écrit la cadence: Mozart lui-même? Ou Kissin?
Le finale est vif, pétillant, spontané, à l'image de ce tout jeune orchestre qui sait lui conférer une fraîcheur rarement égalée.
Un Mozart qui a du corps, un Mozart quasi beethovenien, que Simon et moi, pourtant vraiment pas fervents amateurs du compositeur autrichien, apprécions plus qu'il n'est possible de le dire.

Britten: Variationen über ein Thema von Frank Bridge, Op. 10
Je n'avais jamais entendu parler de ces Variations Op. 10 - il faut dire que je connais très mal Britten, mis à part la présentation d'orchestre pour une jeune personne (que nous avons tous entendus, enfants) et des extraits de son opéra The Turn of the Screw (que j'adore: il faudra que j'en parle une fois) - c'était donc une découverte.
Une très très bonne surprise. Le jeune Britten a écrit ses 10 variations sur un thème de Frank Bridge, qui n'est autre que son premier professeur de composition. Il compose en choisissant les influences dans une très large palette de styles et de formes (Romance, Aria italiana - que les violons II + altos jouent comme de la guitare! - Wiener Walzer, Moto perpetuo, Funeral March et Fugue), ce qui confère à cet opus 10 un caractère très plaisant, avec beaucoup de tableaux différents.
Kremerata Baltica affichait un plaisir évident et beaucoup d'humour en jouant ce Britten, ce dont la pièce a profiter de manière très favorable. Ce jeune Britten gagne apparemment à être interprété par un orchestre jeune lui aussi.
Une très belle découverte, le titre a aterri sur ma liste de CDs à acheter le jour où je serai moins pauvre, et Simon n'a, ni une. ni deux, acheté le CD proposé dans le hall de la Tonhalle, que nous avons ensuite écouté le lendemain matin.

Prokofiev: Symphonie classique, Op. 25, Nr 1
Je n'ai pas noté beaucoup dans mon carnet Moleskine à propos de ce Prokofiev. Simon l'attendait avec impatience, pour ma part, j'étais curieuse de me souvenir comment est cette 1ère symphonie. Kremerata baltica l'a interprété avec brio, beaucoup de fougue, beaucoup de plaisir, beaucoup de sourires. Décidément, les œuvres de jeunesse leur vont admirablement, comme sur mesure! Cette symphonie est elle aussi venu rallonger ma liste d'achat.

Mozart: Klavierkonzert Nr 27, B-Dur
Le deuxième concerto du soir, cette fois en majeur: sera-t-il aussi surprenant que le premier, en mineur?
Yes, he is. Il est espiègle, vif, mais doux pourtant, et reste quelque peu songeur. Le mouvement lent merveilleusement construit, une ligne mélodique très pure, à la fois cristalline et profonde, de beaux dialogues entre le pianiste et l'orchestre. Et le rondo, construit sur la vieille mélodie populaire allemande Komm' lieber Mai und mache die Wiesen wieder grün est un agréable retour en enfance, aussi léger et frais que les joues rouges barbouillées de jus de fraise du petit enfant qui le chantonne dans le jardin.

Malgré cette très brillante performance, la salle est restée relativement froide, n'a réclamé que deux rappels: une Türkischer Marsch enfin bien jouée (!) et une valse lente de Chopin. Alors que Simon est moi battions encore énergiquement des mains, les auditeurs ont commencé à quitter la salle. Et nous avons été fâché contre eux tous!

En conclusion de cette soirée, je dirais que j'ai découvert Britten vraiment et appris - en deux heures ! - à aimer Mozart. (Bien que je ne sois pas sûre que le Mozart de ce soir aie été très "académique".) Anyway.