jeudi 5 juin 2008

Abschiedskonzert: Alfred Brendel mit standing ovations bejubelt

Tonhalle Zürich, 31.05.2008, 19:30

La lumière de cette fin de jour d'été entre en faisceaux obliques dans la Tonhalle joliment ouvragée, qui baigne dans une lueur dorée et grandiose, comme une gigantesque cathédrale florentine. Les auditeurs prennent place, la salle est pleine à craquer, le public est majoritairement composé de retraités.
Jeunes musiciens et étudiants, où êtes-vous?
Une belle tension plane au-dessus des visages tournés, palpitant, vers la scène dépouillée.
Ce soir, le grand maître ne nous offrira pas moins de trois sonates et des variations. Un programme conséquent et ambitieux.
Le pianiste aux lunettes épaisses s'avance lentement vers sa seconde moitié, le grand piano qui trône au centre de l'estrade.
Simon et moi nous trouvons au dernier rang de la galerie, et, comme nos collègues de dernière catégorie, nous nous levons, pour voir le jeu du maestro.


Haydn: Variationen in f-moll, Hob XVII/6
Dès les premières notes, on est frappé par la finesse et la précision du toucher de Brendel - même si j'avais déjà décidé, depuis son récital au Lucerne Festival de novembre dernier, qu'il avait le plus beau son de l'univers pianistique. Brendel, c'est la lumière qui jailli de ses doigts, c'est une seule note qui peut vous amener à l'extase.
Je voudrais souligner ici la richesse imaginative et inventive dont le pianiste fait preuve dans ces variations. En général, je n'aime pas spécialement les variations, j'ai tendance à m'ennuyer au bout de la 4ème variation, or, ce soir, chaque variation est jouée tellement différemment que j'en viens presque à oublier qu'il s'agit de variations, et les applaudissements à la fin me surprennent tant que je chuchote à Simon, interloquée: "pourquoi les gens applaudissent-ils au milieu de la pièce?"

Mozart: Klaviersonate in F-Dur, KV 533
Mozart. Comme je l'ai dit, Mozart et moi, nous ne sommes pas très copains. Sauf quand c'est joué par Brendel. Lui, il peut. Je ne vais certes pas me mettre dans tous mes états, comme avec du Chopin, mais enfin, j'y trouve du plaisir malgré tout.
Sa sonate est très traditionnelle si je puis dire, pas du tout comme la vision assez sombre que nous avons pu écouter le soir suivant avec Kissin et la Kremerata Baltica. Vif, aérien, pétillant. Dans mon carnet, j'ai noté: "Ses ornements sont comme des jeux de lumière, comme le miroitement du soleil sur l'eau". Une mention particulière pour le deuxième mouvement, dans lequel Alfred Brendel a pu pleinement nous faire apprécier la beauté de son son si accompli. Il a su tenir sur la longueur et faire durer l'émotion de la première à la dernière note de ce mouvement lent qui donnait les frissons.

Beethoven: Klaviersonate in Es-Dur "Quasi una fantasia", Op. 27, Nr. 1
Suivait un Beethoven très engagé, ce qui, venant de ce pianiste au jeu que je trouve généralement très intellectuel, m'a agréablement surpris. Un engagement qui lui a coûté quelques imperfections, qui, loin d'être gênantes, ont donné à ce Beethoven tout la spontanéité que l'on peut attendre de Beethoven, et encore plus d'une sonate "quasi una fantasia". Le pianiste s'est lâché, libéré de ses interprétations réfléchies et cérébrales pour simplement vivre pleinement cette très belle sonate de Beethoven. C'était très fort, et, malgré plus d'une heure debout, immobile dans mes chaussures inconfortables, je n'ai pas vu le temps passer.

Schubert: Klaviersonate in B-Dur
Faut-il tenter de poser des mots sur cette interprétation?
En cheminant vers la Tonhalle, Simon me disait que Brendel était devenu célèbre par son Schubert. Je veux bien le croire!
Cette très grande sonate était simplement vollkommen.
Il n'y avait plus rien à dire, plus rien à ajouter. Tout était accompli. On aurait voulu que cela ne s'arrête jamais, plus jamais. Vraiment.
Le mouvement I était subtile, intense et doux, le second mouvement calme, simple, lumineux, sans faux pathos, le mouvement III joyeux, souriant, espiègle, léger comme une brise d'été, et le finale très intense, comme le turquoise sombre d'une eau pure et profonde, comme l'immensité d'un ciel étoilé.

Après une telle prestation, comment ne pas offrir une standing ovation au pianiste qui prend sa retraite? L'émotion était à son comble lorsque le public s'est levé d'un seul homme, dans des applaudissements frénétiques.

Nous avons eu droit à trois bis - trois bis! - et à chaque fois, je me disais que c'était le dernier.
Tout d'abord le deuxième mouvement du concerto italien de Bach, qui m'a étonné par l'usage de la pédale, moi, puriste pour qui Bach = pas de pédale, à quelques rares exceptions près.
Puis un peu de Liszt, avec Au lac de Wallenstadt, la seconde pièce des Années de pèlerinage I, dont je possède par ailleurs un enregistrement par Brendel lui-même. La pièce a mûri, est devenue plus libre, plus rubato, je la préfère telle qu'il la joue maintenant. Un sentiment vaguement étrange d'entendre en "vrai" une partition écoutée tant de fois à la maison.
Alfred Brendel m'a ensuite fait le plus beau cadeau qui soit, en nous offrant, comme troisième et dernier bis, l'Impromptu en Sol bémol Majeur de Schubert, que j'avais découvert sur internet jouée par lui-même, et qui m'avait laissé une vive impression. Mais jamais je n'avais imaginé l'entendre une fois, lui, en live, jouer cet impromptu.
J'étais out of my mind, et pendant plusieurs minutes qui ont suivi, je n'étais plus capable de penser par moi-même.

Merci pour ce grand moment de musique.

PS pour Simon: Alfred Brendel a été jeune une fois! J'ai trouvé un extrait où on le voit avec des cheveux qui ne sont pas gris! (ici, pour réentendre son superbe accent autrichien comme lors de sa petite blague "Jetzt muss ich mich nochmal konzentrieren, sonst schreibe ich am Ende noch Kissin!" et ici pour rigoler un peu)

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critique dans le Tagesblatt
critique dans la Frankfurter Allgemeine

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