Personne n'a jamais songé à m'informer que les romans de Beauvoir ne ressemblent pas du tout à sa coiffure austère. Je pense que ceci est une conspiration mondiale contre ma personne.
Folio, 480 pages
Quatrième de couverture :
«Je rêvais d'être ma propre cause et ma propre fin ; je pensais à présent que la littérature me permettrait de réaliser ce vœu. Elle m'assurerait une immortalité qui compenserait l'éternité perdue ; il n'y avait plus de Dieu pour m'aimer, mais je brûlerais dans des millions de cœurs. En écrivant une œuvre nourrie de mon histoire, je me créerais moi-même à neuf et je justifierais mon existence. En même temps, je servirais l'humanité : quel plus beau cadeau lui faire que des livres? Je m'intéressais à la fois à moi et aux autres ; j'acceptais mon "incarnation" mais je ne voulais pas renoncer à l'universel : ce projet conciliait tout ; il flattait toutes les aspirations qui s'étaient développées en moi au cours de ces quinze années.»
Mon avis :
Aidée de lettres, d'albums photo et de ses journaux intimes, Simone de Beauvoir retrace son parcours depuis ses premières années jusqu'au décès tragique de sa meilleure amie Zaza Mabille. On suit l'évolution de la petite Simone qui veut écrire pour qu'on l'écoute ("à la question Que voulez-vous faire plus tard ? je répondis d'un trait : Être un auteur célèbre."), enfant capricieuse et convaincue de sa supériorité, jalouse, curieuse, engagée. Avec une humilité et une justesse d'analyse exemplaires, elle relate son adolescence difficile, le rapport avec le corps et la découverte de la sexualité, autant de sujets tabous au sein d'une famille marquée par le catholicisme intransigeant de sa mère. Beauvoir raconte les lents étés insouciants à la campagne et sa foi qui s'effondre :
Je devais fatalement en arriver à cette liquidation. J'étais trop extrémiste pour vivre sous l'oeil de Dieu en disant au siècle à la fois oui et non. (...) Je ne concevais pas d'accommodements avec le ciel. Si peu qu'on lui refusât, c'était trop si Dieu existait ; si peu qu'on lui accordât, c'était trop s'il n'existait pas. Ergoter avec sa conscience, chicaner sur ses plaisirs ; ces marchandages m'écoeuraient. C'est pourquoi je n'essayai pas de ruser. Dès que la lumière se fit en moi, je tranchai net. (p. 181.)
La langue de Beauvoir est splendide et son intuition poétique est en effet celle d'un écrivain. Avec des comparaisons et des métaphores d'une justesse rare, elle modèle son récit au delà des mots, en y ajoutant des couleurs, des textures, des odeurs et des sons, et parvient ainsi à transmettre au lecteur l'essence de l'instant qu'elle décrit.
Je plongeais mes mains dans la fraîcheur d'un massif de lauriers-cerises ; l'eau de la fontaine coulait en glougloutant sur une pierre verdâtre ; parfois, une vache frappait de son sabot la porte de l'étable : je devinais l'odeur de la paille et du foin. Monotone comme un coeur qui bat, une sauterelle stridulait ; contre le silence infini, sous l'infini du ciel, il semblait que la terre fît écho à cette voix en moi qui sans répit chuchotait : je suis là mon coeur oscillait de sa chaleur vivante au feu glacé des étoiles. (p. 108.)
Beaucoup se retrouveront sans doute dans cette quête de soi que Simone de Beauvoir raconte dans ses mémoires ; je regrette un peu de n'avoir pas lu ce livre durant ma propre adolescence et il est certain que si j'étais professeur de français au lycée, je ferais figurer cette oeuvre à mon programme !
1 commentaire:
L’icône et le turban. Ainsi pourrait se résumer comment la « papesse « du féminisme a occulté l’écrivain(e) Simone de Beauvoir.
Merci de rappeler son immense talent d’écrivain.
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