jeudi 26 septembre 2013

Ernste Gesänge : les désillusions de Berlin-Est

Label : Harmonia Mundi
Date de parution : septembre 2013
Durée totale : 54'05
Hanns Eisler
Ernste Gesänge . Lieder mit Klavier . Klaviersonate op. 1 
Matthias Goerne / Thomas Larcher / Ensemble Resonanz

Hanns Eisler, loin (mais pas tant que ça) de sa célèbre Deutsche Sinfonie avec sa citation de l'Internationale, avec un choix de pièces à caractère intime. Le baryton allemand Matthias Goerne réunit sur ce CD des Lieder pour baryton et piano, composés sur des poèmes de Brecht durant les années d'exil, dans l'euphorie communiste, et les Ernste Gesänge, dernière partition du compositeur, qui reflète la désillusion de l'utopie socialiste. La 5ème pièce, intitulée XX. Parteitag  (XXème congrès du parti) d'après Helmut Richter, fait part de cette amertume :
Ich halte dich in meinem Arm umfangen.
Wie ein Saatkorn ist die Hoffnung aufgegangen.
Wird sich nun der Traum erfüllen derer, die ihr Leben gaben
Für das kaum erträumte Glück: Leben, ohne Angst zu haben.

Je te tiens serré dans mes bras.
L'espoir a germé comme une graine.
Verra-t-on se réaliser le rêve de ceux qui ont consacré leur vie
A un bonheur à peine imaginable : vivre sans peur.
(traduction tirée du booklet)

Ces Lieder avec accompagnement de cordes vacillent entre des traits mélodiques lumineux et des passages sombres et oppressés, qui figurent peut-être l'espoir et la désillusion ? Toujours est-il que la palette des affects explorés est vaste et subtile, Goerne et l'ensemble Resonanz offrent des teintes mélancoliques entre tendresse et tristesse de celui qui contemple le rêve de sa vie, entrecoupés parfois d'exclamations douloureuses.
La sonate pour piano op.1, écrite en 1923 est l'une des premières compositions indépendantes d'Eisler, alors élève de Schönberg à Vienne. Atonale, elle s'oriente néanmoins aux structures classiques de la sonate en trois mouvements et s'apparente à Brahms dans le travail avec le matériel thématique –probablement l'une des raisons pour lesquelles elle avait beaucoup plus à Schönberg, fervent brahmsien. 
En 1921, Eisler rencontre pour la première fois l'écrivain Bertolt Brecht. Dès 1930, ils travaillent ensemble. Brecht, communiste convaincu, saura réveiller chez son ami la question de l'engagement politique, dont Schönberg se moquait. De leur collaboration, qui dure jusqu'à la mort de Brecht en 1956, naîtront notamment une série de Lieder avec piano, composés majoritairement pendant la Seconde Guerre mondiale, durant laquelle les deux amis exilés se retrouvent à Los Angeles. Eisler associe aux vers neutres et épurés de Brecht un discours musical très lyrique qu'on pourrait presque qualifier de néo-romantique, qui contraste par sa chaleur émotive à l'austérité bien tranchée du texte. La voix veloutée et profonde de Goerne et la transparence du piano de Larcher rendent à merveille cette combinaison surprenante. Roman Hinke dit de ce paradoxe qu'il illustre l'exil de Brecht et Eisler, entre la douceur du climat californien et les atrocités de la guerre, traduisant de cette manière le déséquilibre dans lequel ils se trouvent.
Matthias Goerne continue de faire découvrir les compositions vocales de Hanns Eisler*, dont il livre un enregistrement de qualité.

L'apéro pour les oreilles, c'est ici.

* En 1998 Goerne enregistrait chez Decca le Hollywooder Liederbuch, cycle de Lieder composés en 1943 à Santa Monica.

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