jeudi 22 mai 2008

Les Bienveillantes (Jonathan Littell) - Prix Goncourt 2006

Un pavé considérable, terminé hier, dans le train, en allant au cours de littérature française.

L'achat remonte à quelques mois déjà: je rentrais un jour avant les autres d'un week-end de ski dans les Alpes valaisannes. Trois heures de train en perspective, et pas de livre. A la gare de Sion, dans un petit kiosque, j'ai trouvé ce gros volume, meilleur rapport qualité-quantité-prix*. C'est à dire le Prix Goncourt 2006 pour la qualité, 1390 pages pour la quantité, 24,90.- pour le prix. Imbattable.
J'avais lu les 100 première pages dans le train. Puis j'avais dû momentanément abandonner Les Bienveillantes pour continuer mes lectures assidues (et passionnées) des Buddenbrooks et du Untertan - respectivement Thomas et Heinrich Mann.
Ont suivi les lectures obligatoires du cours de littérature française du XIXe-XXe (Hugo, Breton, Proust, Beckett, Flaubert et Baudelaire), puis un retours à mon Thomas Mann adoré (Tonio Kröger et Tod in Venedig).
Avant que, le dernier dimanche d'avril, je n'ouvre à nouveau l'épais livre de poche à la couverture rouge sang.

Les Bienveillantes, que l'auteur américain Jonathan Littell a choisi de rédiger en français, est un livre très dense, très complet, très lourd. Je dois avouer que les seules raisons qui font que je n'aie pas abandonné le livre dans les premiers récits du second chapitre, ont été d'une part mon incapacité de laisser un livre inachevé, et de l'autre le sentiment d'une nécessité de lire les mots difficiles et brutaux des actes impardonnables de cet officier SS, Allemand tout comme moi.

L'histoire est celle du Sturmbannführer Maximilan Aue, jeune intellectuel épris de littérature, de musique, de grec. Jeune homme érudit, idéaliste, au tempérament allemand profondément romantique, qui est une sorte d'Oreste actuel.
Aue servira tout d'abord en Ukraine, où il sera impliqué dans l'exécution des Juifs, fusillés systématiquement puisque considérés comme traîtres et partisans bolchéviques potentiels. Son état de santé se détériore, il supporte mal ces exécutions massives qui s'étendent maintenant aussi aux femmes et aux enfants, on l'envoie se reposer en Crimée. Un échec de son supérieur Bierkamp face à la Wehrmacht sur une question ethnique d'un peuple du Caucase et Aue se verra expédié au front, dans le Kessel de Stalingrad. Blessé par un sniper russe, il sera rapatrié dans le Reich et servira Himmler à Berlin. Il aura a charge de faire monter l'effectif de la main d'œuvre, soit concrètement d'augmenter le nombre des prisonniers aptes au travail, d'améliorer les conditions de vie des détenus aptes et sera amené à visiter différents camps de concentrations, dont Auschwitz-Birkenau.
Sa santé psychique se dégrade de pair avec la lente chute du Reich, il finit par ne plus être maître de ses actes et n'est définitivement plus capable de faire la séparation entre le vécu et le rêve.

Les Bienveillantes pose la question du mal, de l'inceste (relation entre Max et sa sœur jumelle Una), de la responsabilité face aux massacres, de l'homosexualité.

Un très bon livre, pas facile à lire de part son langage très cru, très froid, très neutre (les crânes qui explosent, la cervelle mêlée à des bout d'os et des cheveux, cette partisane russe pendue qui gît dans la neige, le sein rongé par les chiens, le meurtre de Yakov, le petit pianiste juif de Jitomir qui adorait Bach et qui jouait pour les officiers de la SS (et dont je suis évidemment tombée amoureuse)).

Un récit et une problématique qui aideront tous ceux qui cherchent à se positionner, non seulement face à ces évènements de la Seconde guerre mondiale, mais aussi face à toutes les atrocités avant et après, hier, aujourd'hui, et malheureusement sans doute aussi demain.


*Lorsque je dois acheter de la lecture pour le train, je choisis invariablement le livre le plus gros et le moins cher que je peux trouver. Et comme je mise toujours sur un grand classique de la littérature - Madame Bovary, Les Frères Karamazov, Le Premier Homme, je ne regrette jamais mon achat.

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Fiche de lecture détaillée sur Wikipédia
Notes de Pierre Assouline sur l'attribution du prix Goncourt et sur l'œuvre (mise en garde: photographies très violentes)
Analyse de Lyonel Baum

9 commentaires:

Anonyme a dit…

Tiens, suis également en train de lire ce livre...

A un moment, il explique qu'il ne veut pas regarder ces exécutions, mais qu'il ne peut pas détacher son regard... Cela m'a mis un peu mal à l'aise, j'ai l'impression que c'est un peu le même phénomène qui nous pousse à continuer la lecture de ce livre (même si ce n'est pas le seul facteur, évidemment)... :/

Car comme tu le dis, c'est très cru, et très dur. L'atmosphère est incroyablement pesante par moment (j'en suis à Stalingrad). Et l'écriture à la première personne ne permet pas de se détacher de l'histoire, du moins pas plus que ne s'en détache le narrateur...

'tite Gogole a dit…

Et hop... un bouquin de plus dans ma liste à lire absolument...

Sinon, je comprends pas très bien le « Allemand, tout comme moi ».

la. a dit…

°Sébastien - Stalingrad, pour moi, le pire était passé. Alors tu as lu les pages géniales des explications linguistiques du Dr.Voss!! :o)

°Doudou - Oui, absolument.
Et bien Aue est Allemand.
Lavinie est Allemande.
Je voulais dire par là que mon pays a un lourd passé que je porte forcément aussi en moi, et avec lequel je dois "mich auseinandersetzen"

Anonyme a dit…

Aue est de retour à Berlin.

Oui, géniales en effet, mais j'en ai retenu bien peu malheureusement... ;o)

la. a dit…

sébastien: moi aussi, dans le feu de la lecture, j'ai passé trop vite sur ces pages.

Anonyme a dit…

Le temps passe et les lectures approfondies du roman de J. Littell relativisent les commentaires d'Edouard Husson et de Michel Terestchenko. Jean Solchany pour la recherche historique et Florence Mercier-Leca pour la littérature , et quelques autres , de plus en plus nombreux, ne considèrent plus « Les Bienveillantes» comme un canular . Sans reprendre les propos hyperboliques de certains ( Georges Nivat , Pierre Nora et bien d'autres ) ceux qui ont lu et relu le livre énonce les qualités de cet événement littéraire. Jamais en 60 ans , une oeuvre artistique n'a pu rendre sur ce sujet ( l'apocalypse européenne pendant la seconde guerre mondiale ) , à ce niveau d'incandescence , l'effet de Réel qui émerge de cette narration. Comme le dit Solchany c'est un roman qui réussit là où le cinéma n'a jusqu'à aujourd'hui pas totalement convaincu. Peu d'oeuvres littéraires ont contribué de manière aussi efficace au «devoir de mémoire». La fiction , le témoignage et le livre scientifique constituent 3 approches différentes et non concurrentes du nazisme et de l'extermination des juifs. Certains lecteurs ne semblent pas prêts à reconnaître la légitimité de la démarche fictionnelle, alors que cette dernière jouera à l'avenir un rôle croissant dans la prise de conscience de la monstruosité du nazisme.L'intervention des intellectuels dans le débat critique est indispensable, mais il y a des limites à l'expertise historienne. S'exprimer sur le rapport à la vérité lorsqu'il s'agit de littérature( ou de cinéma ) présuppose une grande prudence.Les historiens ne doivent pas ruiner leur crédit en souscrivant à un fondamentalisme hypercritique qui conduit à assassiner un roman qui ne mérite pas un tel traitement. « Les Bienveillantes» apparaissent comme un texte exigeant. Il sollicite diverses compétences du lecteur et pas seulement culturelles.

la. a dit…

lyonel: Je trouve aussi que ce livre est extrêmement complet, et le fait que ce soit une fiction ne fait qu'augmenter son impact sur le lecteur.
Merci pour le commentaire!

Anonyme a dit…

Good post.

la. a dit…

Thank you.