lundi 26 janvier 2009

Antigone (Jean Anouilh)

Jean Anouilh, c'est les souvenirs d'après-midi théâtre en cours de français, lorsque j'étais en 9ème (pour les amis Français, c'est l'année qui précède l'entrée au lycée). Nous avions lu Le bal des voleurs et notre professeur voulait nous faire jouer la pièce. J'étais la vieille dame riche, une bague à chaque doigt, un parfum de grand-mère et des crises de nerfs à tout bout de champ. Je tenais les trois-quart des répliques (la quantité de texte à mémoriser avait été d'ailleurs, si je me connais bien, le motif de mon choix pour ce personnage. C'était l'époque bénie de mes excès de zèle) et j'étais fière de mon travail, de ces longues tirades que je connaissais sur le bout des doigts.
Une pièce drôle, avec sa petite morale et quelques penchants vers l'absurde.
Le professeur m'avait dit qu'il fallait lire l'
Antigone d'Anouilh, puisque j'aimais bien cet auteur. Au lycée on m'en a parlé. A l'université, on m'en a parlé. Et voici, jeudi dernier, qu'en rapportant les livres pour mon travail d'histoire, je me trouve face au rayon poésie. Juste dessous, le théâtre. D'abord Les justes qui me font coucou, puis Antigone. Samedi matin, je terminais la pièce, Hémon enlaçait Antigone dans une étreinte ultime et éternelle.

La table ronde, 122 pages

Quatrième de couverture:
Il n'y en a pas - en même temps, on peut espérer que vous connaissez l'intrigue de cette tragédie grecque!
Mais je copie un extrait:

ANTIGONE: Pourquoi le faites-vous?

CRÉON: Un matin, je me suis réveillé roi de Thèbes. Et Dieu sait si j'aimais autre chose dans la vie que d'être puissant...

ANTIGONE: Il fallait dire non, alors!

CRÉON: Je le pouvais. Seulement, je me suis senti tout d'un coup comme un ouvrier qui refusait un ouvrage. Cela ne m'a pas paru honnête. J'ai dit oui.

ANTIGONE: Eh bien, tant pis pour vous. Moi, je n'ai pas dit "oui"! Qu'est-ce que vous voulez que cela me fasse, à moi, votre politique, votre nécessité, vos pauvres histoires? Moi, je peux dire "non" encore à tout ce que je n'aime pas et je suis seul juge. Et vous, avec votre couronne, avec vos gardes, avec votre attirail, vous pouvez seulement me faire mourir parce que vous avez dit "oui".


Mon avis: *****
J'ai un faible certain pour les tragédies grecques. Leurs protagonistes sont les plus beaux - y a-t-il femme plus belle que la petite Antigone, maigre et mal peignée, mais sincère, fidèle à elle-même jusqu'au bout, entière, radicale dans sa quête de liberté et d'absolu?
La pièce a été écrite pendant la Seconde guerre mondiale, et sans doute elle traite du tyran, de son pouvoir, et surtout des limites de sa force, face aux Justes (j'y reviendrai tout à l'heure dans ma critique des Justes de Camus). Que peut Créon face à Antigone? Il est obligé de mettre sa sentence à exécution, il a le pouvoir et la faiblesse, elle a la force et la vérité. Qu'est-ce que l'autorité, s'il faut user de violence pour la maintenir? Une coquille vide, une erreur. Loin de la justice et de la vérité.
une belle leçon de vie, sur la fidélité à sa propre vérité, celle du coeur, pas celle du pouvoir.

7 commentaires:

'tite Gogole a dit…

Hey ! On avait vu cette pièce en troisième (l'année avant le lycée, en France), et on l'avait joué. Je faisais Antigone...

J'avais été fascinée par le personnage, cet absolu, cette liberté.

Maintenant, je suis un peu blasée. Je trouve ces grands discours, et ces grands mots un peu creux. Pompeux et vains. Finalement, elle meurt, et la mort c'est la lose. La vérité, la liberté... tout cela s'efface devant la mort.

Et puis c'est une tragédie, un "ressort", donc pas la liberté. La vraie liberté, ça aurait été qu'Antigone se délivre de son rôle et les largue tous au milieu de la pièce. C'est super contradictoire d'être le héros d'une tragédie grecque et de se réclamer de la liberté, non ?

D'ailleurs, il me semble que la "morale" était moins tranchée, que d'ailleurs la pièce avait plu autant aux collabos qu'aux résistants, dans la mesure où à la fin, l'ordre règne et c'est bien le pouvoir qui gagne (Antigone meurt... C'est peut être héroïque, mais pas génialement constructif non plus).

Bon. En fait, c'est vraiment marrant que tu en parles précisément aujourd'hui, parce que j'avais un oral, il fallait que je commente le prologue des "Marrons du feu" de Musset, et j'y ai pensé (à Antigone). Le prof aussi, d'ailleurs.

Les grands esprits se rencontrent... :D

Scritch a dit…

Excellente pièce ; mais rien ne dépassera jamais la pièce originale de Sophocle. (Quel beauté dans le grec !...)

la. a dit…

doudou: Nos avis divergent. Pour moi, la mort c'est pas la lose. On va tous mourir, Créon aussi. Sa vie à lui, ça aura été la lose. Mais pas celle d'Antigone.
"Celui qui veut garder sa vie la perdra, et celui qui la perdra la gagnera". C'est juste une bassesse immonde - et commune - que de plier l'échine au pouvoir qu'on sait être "mal".
Je pense qu'Antigone est libre dans le sens qu'elle sait et accepte son destin. Elle n'est pas esclave du monde terrestre, elle n'a pas dit "oui" à la dictature de l'autorité, l'argent, le pouvoir, la politique ou le succès... Elle sent que ce qu'elle doit faire et elle le fait.
(Ah, quel plaisir de débattre! Cela faisait longtemps, ce me semble.)

scritch: Je ne lis malheureusement pas le grec. Quand à la traduction de la pièce de Sophocle, je l'ai lue je pense en première lycée - il y a 6 ans.

'tite Gogole a dit…

Mais là, c'est une résistance minimale. Mourir pour un mot (liberté), c'est beau, c'est héroïque, poétique... mais c'est juste de l'esthétique. Futile.

De façon hyper cynique, si Créon est un méchant dictateur, c'est pas avec Antigone qu'on va s'en sortir. Pour un résistant, se faire prendre et mourir, c'est un échec. Après, quitte à mourir, autant le faire avec la classe. Mais ça reste un échec, puisqu'après, on ne peut plus agir. Une dictature pas trop molle sera même plutôt contente de se débarrasser d'un opposant aussi facilement. Et dans l'absolu, si on a des convictions, de vraies convictions (pas juste des mots), notre vie ne nous appartient pas, elle appartient à la cause à laquelle on se consacre. Après si ladite cause a besoin de sang... pourquoi pas. Mais dans la cas d'Antigone, j'ai des doutes.

Alors que survivre à tout prix, quitte à dire ce qu'on ne pense pas, faire semblant de renier ses convictions, s'écraser, pour pouvoir continuer à lutter après, c'est toujours faire plus que mourir en martyr. Certes, c'est moins classe, moins héroïque, mais c'est plus efficace.

la. a dit…

Peut-être que tu as raison. Pourtant, comment la petite Antigone pouvait-elle lutter? Son message, je ne crois pas qu'il soit vain...
Bien sûr, il fallait aussi que son geste ait quelque chose de beau - c'est une tragédie grecque finalement.

Anonyme a dit…

J'adore ces mots qui arrivent simplement, mais puissamment comme des rafales de vents, qu'on entend et qui font aussitôt sens même si on ne comprend pas forcément la motivation de ces différents rôles qu'endossent Antigone et Créon. Puis de l'avoir vu joué par Barbara Schulz n'a rien gâché au plaisir. Non plus que de le travailler en explications de textes.
Et pour les collabo/résistants... la pièce n'a pas tant plu d'un côté comme de l'autre qu'elle n'a déplût des deux côtés. Curieux comme cette pièce a forcément un côté dérangeant.

la. a dit…

C'est vrai: c'est simple, frugal presque, mais puissant.
La pièce n'apporte peut-être pas réellement de solution, à y repenser: d'un côté il y a la noblesse, la liberté et la beauté, de l'autre le pouvoir, les liens et le mensonge. Chacun suit sa route, sans que son destin n'influence l'autre.
Exactement comme dans le monde réel.