mardi 11 janvier 2011

Mozart à la Bruckner

Le public du Musikverein avait de quoi s'étonner lors du concert donné samedi 18 décembre dernier dans la grande salle. Les Tonkünstler Niederösterreich ont littéralement envahi la scène et peu s'en est fallu que la masse des musiciens n'engloutisse pas le piano, devenu ridiculement petit face à la grandeur de l'orchestre. On relit rapidement le programme: Mozart, concerto pour piano en Do Majeur, KV 503 et Bruckner, Symphonie N°4 en Mi bémol Majeur. Aucun changement de programme annoncé. Le chef Andreas Delfs, précédé du pianiste Andreas Haefliger, fait son entrée et dirige effectivement Mozart. Face un orchestre déjà en pleine formation pour Bruckner. 

Il ne faut pas long pour que les doutes soient confirmés: faire jouer Mozart par un orchestre de taille wagnérienne, c'est tuer l'essence même du compositeur. La légèreté si caractéristique est alourdie par la masse de musiciens lourde et par son ampleur devenue difficile à manier, et le timbre voilé et trop majestueux assombrit la transparence que nécessite le concerto. Le pianiste doit se battre pour émerger de la masse, avec force et pédale, il s'ensuit un concerto pompeux et dramatique, avec une courte trêve dans le mouvement lent, dans lequel le pianiste, momentanément libéré de l'orchestre, montre toute la finesse de son jeu, qui aurait si bien pu servir la musique tout en délicatesse de Mozart, s'il n'avait pas fallu jouer des pieds et des coudes pour se faire entendre. Le pianiste écourtera par ailleurs les salutations et quittera la scène sans donner de bis.

Rejoint par quatre ou cinq instruments à vent, l'orchestre se lance dans la 4ème de Bruckner. On est d'emblée envouté par le jeune cor à la pureté parfaite, si rare à atteindre avec cet instrument. Une précision et un son qui fond sur la langue projettent l'auditeur dans l'univers sonore brucknérien. L'orchestre suit attentivement le moindre signe d'Andreas Delfs, qui profite de libérer de ses musiciens une palette de couleurs très riche qui viendra étoffer cette grande oeuvre. Le public voyage à la découverte de sons, de couleurs et d'affects, de crescendi en decrescendi parfois inattendus et surprenants. Si l'interprétation reste classique, il ne s'agit pas moins d'une très bonne exécution de l'oeuvre, dont Andreas Delfs, aidé par son orchestre, en particulier par les vents, toujours excellents, saisit les grandes pensées mélodiques qu'il parvient à laisser entières, sans négliger toutefois son sens du détail. Il ne fait pas de doute que la symphonie de Bruckner formait le centre de ce concert alors que le concerto de Mozart n'était qu'un remplissage destiné à donner au concert la durée usuelle. 

4 commentaires:

Rameau a dit…

Tiens, ça doit être une expérience amusante, ce Mozart pléthorique. Je me demande ce que ça donne en comparaison de ce que peuvent faire certains chefs anti-baroqueux (Muti et ses amis, pour faire vite), qui ne recourent pas forcément à des effectifs si massifs tout en refusant d'écouter l'approche des baroqueux...
J'espère que ce blog va continuer...

la. a dit…

au risque de choquer: même si les Messes en Si avec Harnoncourt restent mes préférées, je trouve que celle de Celibidache est, mis à part le problème d'Ausführungspraxis, finalement aussi valable. Elle traduit autre chose. Après, évidemment, si c'est possible de jouer Bach à toutes les sauces sans tuer l'oeuvre, c'est certainement pas le cas d'un Vivaldi où d'un Scarlatti!

delest a dit…

Bon, moi aussi, je suis souvent envoûté par les jeunes cors à la pureté parfaite. Surtout, pour rester dans le vocabulaire musical, quand l'âme est au diapason :)
Bonne année à toi, Mamzelle Lavinie. Tous mes vœux, et content de te relire !

Rameau a dit…

Je pensais surtout pour ce qui me concerne à des chefs qui semblent avoir à coeur de jouer volontairement contre les baroqueux (je ne crois pas que Celi se soit préoccupé de ce genre de détails, mais je ne sais pas trop...). Pour tout dire, j'ai été traumatisé par le Don Giovanni des Wiener avec Nézet-Séguin à Salzbourg cet été, qui était une véritable caricature. Furtwängler, c'était autre chose !