Les Springerkarten* à la dernière minutes, et des places au premier balcon dans le wiener Konzerthaus, le dimanche 16 janvier dernier. Ivo Pogorelich, encore jamais entendu en concert mais qui a gravé quelques CDs que j'aime beaucoup, joue le second concerto de Rachmaninov avec les wiener Symphoniker, sous la direction du chef titulaire Fabio Luisi. Les deux hommes montent sur scène, Pogorelich d'un pas mesuré, poitrine bombée et tête haute. Très très piano, les premiers accords du concerto flottent dans l'air, indécis, et subitement, c'est l'explosion. Les accords sont projetés violemment dans la salle, Luisi talonne son orchestre pour suivre le jeu du pianiste, toujours plus vite, toujours plus fort. C'est un jeu brutal, rauque, une partition douloureuse et révoltée. Si l'interprétation surprend et dérange même dans un premier temps, elle se révèle finalement très intéressante, un do mineur tourmenté jusqu'au seuil de la démence. On est ébloui et comme assommé par ce premier mouvement moderato, et l'on se réjouit du second mouvement, chef d'oeuvre de douceur et de transparence, lumineux et apaisant... mais c'est sans compter Pogorelich. un son dur, une attaque trop nette, des accents semés au gré de ses envie, l'adagio en devient presque méconnaissable, énervé et impatient. Les accents incompréhensibles font ressortir une ligne mélodique totalement nouvelle qui frise l'atonalité. C'est certes une nouvelle approche de l'oeuvre, mais qui ne fait pas de preuve dans ce mouvement où il est évident que c'est le lyrisme qui a la voix au chapitre. Lorsque Pogorelich enchaine pour le dernier mouvement allegro scherzando, il en fait un allegro con fuoco qui donne l'impression désagréable que le pianiste essaie de se débarrasser à la fois de l'orchestre et de son piano, en augmentant la puissance et la vitesse comme s'il s'agissait de vaincre en détruisant tout ce qui l'entoure. Le public, fatigué, applaudira avec même quelques bravos - hommage à la célébrité de Pogorelich - mais ne réclamera pas de bis.
En seconde partie, la 4ème symphonie en mi mineur op. 98 de Brahms ne parviendra pas à captiver totalement l'auditeur. Fabio Luisi fait de son mieux, l'orchestre également, mais la fatigue se fait sentir aussi bien chez les musiciens que du côté du public. Le premier mouvement bénéficie encore d'oreilles attentives, mais l'attention retombe déjà dans le second mouvement, une sorte de marche funèbre, pour laquelle l'orchestre, qui a tout donné pour Rachmaninov, n'a plus assez de présence. Le troisième mouvement, allegro giocoso, réveille la salle par son caractère entraînant, mais les musiciens et le public ne parviennent pas à rester attentifs pour le dernier mouvement. Allegro energico et passionato, c'est beaucoup trop lourd après un tel programme. Programme osé - deux grandes oeuvres exigeantes pas seulement pour les musiciens mais aussi pour le public - et qui, dans cette formation, s'est révélée être désastreuse. On retiendra le premier mouvement du concerto pour piano et les trois premiers mouvements de la symphonie de Brahms, et on s'efforcera d'oublier bien vite le reste.
*cartes où l'on peut s'assoir sur les places restées vides