lundi 22 décembre 2008

Baude Cordier, Belle, bonne, sage: un rondeau au XVe siècle - V

Analyse de l'œuvre - suite

La partition est écrite en mode de ré, avec un rythme relativement simple en [3 ; 2], appelé tempus perfectum cum prolatione imperfecta, puisque qu’on y trouve une brevis qui équivaut à trois semibrevis, alors que les semibrevis valent seulement deux minima, et sont donc imparfaites. Le rythme simple est caractéristique de la période tardive dans laquelle le rondeau a été écrit, et porte par là préjudice à l’hypothèse selon laquelle Baude Cordier et Baude Fresnel ne seraient qu’une seule et même personne.

Il s’agit d’un rondeau à trois voix, soit un cantor, un contratenor et tenor. On ignore toutefois jusqu’à aujourd’hui si le contratenor et le tenor étaient chantés, ou si au contraire seul le cantor était chanté – il est habituellement la seule voix à être texté - tandis que les deux autres voix étaient exécutées par des instruments. On admet communément l’hypothèse que toutes les voix n’étaient pas forcément chantées.[1]

D’un point de vue modal, on notera que le premier vers de la rime A commence en mode de ré, pour se terminer toujours en mode de ré, alors que le second vers se déroule à la quinte. Pour la rime B, nous observons le phénomène inverse : la première strophe est en la (la quinte) tandis que la deuxième revient sur ré..

La fin de chaque rime est accentuée par des mélismes (mesures 10-14, 20-22, 28-31, 37-45).

On remarque une assez grande quantité de consonances imparfaites de tierces ou de sixtes, dont le nombre est presque égal à celui des consonances dites parfaites, soit les intervalles de quarte et de quinte. Ces consonances imparfaites, venues d’Angleterre « grâce » à la guerre entre la France et la Grande-Bretagne, confèrent à la pièce un côté très chaleureux. Toutefois, bien qu’employées ici très fréquemment, le compositeur n’y a jamais recours pour des accords importants, notamment les fin de phrases, les consonances de quarte ou quinte restant réservées à cet usage, comme on peut le voir dans notre rondeau (mesures 14, 21, 31 et 45).

La pièce se termine par une cadence dite de Landini, qui a la particularité d’être à double sensible.

Après ces quelques considérations des grandes lignes « harmoniques » du rondeau, procédons maintenant plus en détail.

La pièce commence en imitation, avec tout d’abord le motif présenté à la quarte par le contratenor, avant d’être repris sur les mêmes notes par le tenor, pour finalement être chanté sur le mode de ré par le cantor. Cette forme d’anticipation des voix graves sur la voix principale du cantor est tout à fait inhabituelle, puisqu’en règle générale, l’exposition de la mélodie revient toujours au cantor. Suivent au contratenor une série de syncopes descendantes, identifiables grâce à la notation rouge, qui s’achève avec la fin de la première rime [mes.14]. Pendant ce temps, le tenor développe de longues tenues à la manière d’un cantus firmus [mes. 5 à 11] pour terminer la rime avec une imitation des syncopes – toujours notées en rouge - du contratenor. Le cantor pour sa part, après avoir repris le motif exposé successivement par le contratenor et par le tenor continue avec trois fois de suite une levée de deux croches qui donnent une sorte d’élan pour la suite, de part l’impression d’impulsion cyclique qu’elles génèrent. Il passe par deux changements de mesure. A la mesure 9 les triolets inscrits sur la partition nous indiquent que nous passons du tempus perfectum cum prolatione imperfecta à un tempus perfectum cum prolatione perfecta, reconnaissable une fois de plus à la coloration rouge, et que la semibrevis équivaut dès lors à trois minima et non plus à deux comme dans le reste de la pièce. Le second changement, deux mesures plus loin, exprimé par deux mesures de duolets nous informe que Cordier souhaitait ici non seulement une semibrevis imparfaite, mais que la brevis ne vaut ici aussi que deux semibrevis, nous avons donc aux mesures 11 et 12 un tempus imperfectum cum prolatione imperfecta, soit une diminution par rapport au tempus perfectum cum prolatione imperfecta.. Ces deux modifications de mesures ne semblent pas avoir de lien avec le texte, puisque le premier de ces changements en tout cas ne s’opère pas sur des mots importants.

Le début de la partie B est une imitation du motif de A, avec un changement de note, cette fois sans imitations des deux voix inférieures. Le tenor reprend ses valeurs longues, avec seulement deux syncopes [mes. 26-27 et mes. 43-44]. Le contratenor évolue en une suite de figurations descendantes jusqu’à la fin de la première rime à la mesure 31. A la deuxième rime, le contratenor débute en soliste pour laisser la place au cantor sur une syncope. Il termine ensuite par une seconde syncope, imitée au tenor avant de terminer sur un la, en passant par la sensible sol dièse. Le cantor se tait à nouveau sur deux soupirs, tout comme lors du début de la seconde rime de la partie A [mes. 32 + mes. 15]. Il passe ensuite par deux nouveaux changements de mesure, tout d’abord à nouveau comme à la mesure 9 en [6 ; 8], soit un tempus perfectum cum prolatione perfecta, et directement après par une mesure traduite par un duolet, équivalent à un [8 ; 9], où nous trouvons la seconde des deux sensibles, do dièse, qui en font une cadence de Landini.

Dans l’ensemble, cette section B reste très proche de la partie A, du moins d’un point de vue rythmique.


[1] Luca Zoppelli, Cours d’histoire générale de la musique II, donné à l’université de Fribourg en 2006.

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