dimanche 19 octobre 2008

Pleyel au coeur de la Russie

Dimtri Hvorostovsky, Evgeny Kissin
Chants de Tchaïkovsky, Medtner, Rachmaninov
12 octobre 2008, 19:30, salle Pleyel, Paris

J'étais donc à Paris.
J'ai passé une heure au soleil, faisant courir ma plume sur mon carnet Moleskine au Champ de Mars, sursautant à chaque fois que, levant les yeux du papier, je voyais la Tour Eiffel. Je me suis perdue dans la multitude de librairies du quartier de la Sorbonne, j'ai passé des heures à lire, écrire et regarder la vie sur la terrasse des cafés parisiens, je suis tombée amoureuse des statues grecques du Louvre, j'ai sautillé de joie aux puces Porte de Clignancourt, j'ai marché là où tant de personnages de romans lus et rêvés dans mon enfance avaient posés leurs pieds. J'ai fait la sieste aux Tuileries, je me suis nourrie presque exclusivement de baguette et de café, j'ai appris des poèmes de Rimbaud dans le métro. J'ai esquissé des pas de valse avec un inconnu sur le pont des Arts avant de le quitter dans un éclat de rire, j'ai tutoyé un professeur de la Sorbonne, j'ai plaisanté et dîné avec ce même professeur, je me suis laissé instruire sur Napoléon.

Je suis allée au concert aussi, comme toujours, lorsque je pars en vacances.
Première fois à Paris - première fois à Pleyel.
Dmitri Hvorostovsky, baryton, et Evgeny Kissin, qu'on ne présente plus sur ce blog, dans un programme 100% romantiques russes.
Etudiants en jean, riches bourgeoises en vison, c'était la salle de tous les paradoxes. L'arrière-scène fermée à cause d'un public pas très nombreux, j'ai été redirigée vers le fond du parterre. Quelques minutes avant le commencement du concert, les placeurs nous ont donné le feu vert pour intégrer des rangs plus en avant. Le public chic et posé de Pleyel s'est transformé pour quelques secondes en une horde de gens braillards et aussi distingués que des charretiers. Grosse foire d'empoigne, moi au milieu, stupéfaite et pliée de rire: une telle chose n'arrive jamais dans la Suisse très 'réglos'. Je me suis retrouvé catapultée au quatrième rang, côté chanteur.
Je ne connaissais que très mal le chanteur, tout au plus quelques vagues extraits d'opéras, et encore. Quant à mon pianiste préféré, j'étais curieuse de voir comment il se débrouillait en musique de chambre, il allait passer le test de modestie, quittant la peau du soliste pour revêtir l'habit du 'simple' accompagnateur. Je sais que Kissin a fait plusieurs apparitions en musique de chambre, en duo avec Argerich et Levine, en quintette avec Kremer notamment, et avec la voix délicieuse de Thomas Quasthoff à Verbier, il y a maintenant quelques années. Les critiques avaient été très positives, mais je me réjouissais malgré tout d'entendre par moi-même.
Eh bien, les amis! Evgeny Kissin sait s'effacer, être là pour soutenir et mettre en valeur le chanteur. Celui qui, fêté dans toutes les salles de concert du monde, aurait plus d'une raison pour faire sa prima donna a su garder un caractère humble et innocent. Il s'est retiré des projecteurs tout en gardant son jeu brillant, précis et poétique, ressortant là où il le fallait, restant dans l'ombre lorsque Hvorostovsky tenait le beau rôle.

En ce qui concerne le chanteur, je m'attendais à l'une de ces belle voix russes, veloutées et profondes, comme l'encens de la liturgie orthodoxe. Je n'ai été ni déçue, ni surprise en bien, j'ai simplement reçu ce que je pensais entendre - ce qui n'est pas mal du tout, puisque j'avais une exigence assez haute, à bien considérer les choses. Un baryton russe avec ce grand coffre typique, un son non pas éclatant comme des cuivres, mais un peu voilé, et généreux comme un violoncelle.
Le programme était très bien monté et exécuté, bien qu'à mon oreille de pianiste, le chanteur aurait pu se montrer parfois un peu plus coopératif (mais il s'agit là d'une utopie, je sais bien que les chanteurs ne font - pour la plupart - pas grand cas de leur pianiste, leur accompagnateur. Pour certains, c'est déjà un honneur s'ils vous laissent jouer votre introduction en entier, j'en connais un rayon à ce sujet*). Mais comme Evgeny Igorievich n'est pas né de la dernière pluie, il a toujours bien anticipé et suivi Dmitri Aleksandrovich, pressant le tempo lorsqu'il le sentait à bout de souffle, élargissant là où le chanteur s'attardait sur des passages très lyriques.

Une très belle soirée, ma première soirée de Lieder je pense. Une salle hystérique, standing ovation et trois rappels, Hvorostovsky désigne sa montre pour éviter de nous devoir plus de bis.
J'ai été ravie du public, calme et bien élevé pendant la partie formelle, chaleureux et spontané dans les bis, des échanges du tac au tac avec le chanteur.
J'ai aimé aussi Hvorostovsky qui annonçait ses bis.














Dmitri Hvorostovsky et Evgeny Kissin - lequel a laissé ses cheveux dans sa loge dans un souci de sobriété.

Il s'agit en fait du pianiste Ivari Ilja.


*
une après-midi, devant l'institut de musicologie, j'entends cette brève conversation entre deux chanteuses:
A: j'espère que je ne vais pas faire trop de fautes de rythme, et que je ne vais pas ommencer trop tôt.
B: bah tu t'en fiches!
A: Ah non, quand-même...
B: Quand-même quoi?! C'est au pianiste de te suivre, c'est son travail, il sert à ça. Tu dois pouvoir lui couper ses soli et oublier ou rajouter des temps, il n'a qu'à se débrouiller.

(J'ai failli envoyer mon Norton Anthology of English Literature II à la tête de la chanteuse B.)

4 commentaires:

Lucie a dit…

Charmante carte postale, visuelle et auditive à la fois! Argh... je m'ennuie de Paris après avoir lu ça!

la. a dit…

Moi aussi, j'ai l'ennui de la Ville Lumière...
Je m'attendais à la trouver belle, mais à ce point!

Anonyme a dit…

Pauvre livre innocent qui n'aurait rien fait de mal :(

la. a dit…

Mais qui aurait fait très mal. Il est énorme, la taille du petit Larousse.