Norman, Langriedge, Terfel, Tanaka Tokyo Opera Singers, Shinyu-Kai Chorus, Saito Kinen Orchestra, Ozawa Philips, 1992
NB: Ce sera normalement le dernier article posté un dimanche, puisque j'ai décidé ce matin de laisser non seulement mon portable éteint ce jour-là, mais aussi mon ordinateur. Et évidemment aucun travail le jour du Seigneur, mais des livres, du piano, des lettres, mon journal, des poèmes, des promenades, du thé.
Opéra-oratorio en deux actes de Stravinsky composé sur les poèmes Sophocle de Cocteau, traduits en latin par Jean Daniélou.
Une œuvre qui s'inscrit parfaitement dans les choix du compositeur russe de traiter des sujets à caractère païen (Le Sacre du Printemps, L'Oiseau de Feu). Donné pour la première fois en 1927, Oedipus Rex fut d'abord présenté sous forme d'oratorio à Paris et aux Etats-Unis et ne sera monté comme un opéra qu'à partir de 1928. Stravinsky associe des scènes dramatiques d'opéra, chantées en latin, à une narration d'oratorio, parlée dans la langue du public.
Pour cette production japonaise, j'ai donc eu droit à une narratrice en kimono et à la figure poudrée de blanc, et je dois dire que l'union latin-japonais n'est pas ce qu'il y a de plus heureux sur terre, les deux langues n'ayant aucun rapport entre elles, alors que dans notre monde occidental, le latin fait partie du passé collectif, non seulement dans les cultures dites 'latines', mais jusque chez les Germains, lesquels ont gardé jusqu'à ce jour des expressions latines dans le langage courant (stante pede, litt. stehenden Fusses, 'de pied levé' (immédiatement), ou encore le verbe stehen (se tenir debout), qui vient à coup sûr du verbe latin stare, qui porte la même signification. Mais trève de tribulations linguistiques et éthymologiques!) Ormis donc ce décalage entre le latin des chanteurs et le japonais de la narration, un autre point linguistique m'a frappé: le choix de Stravinsky de faire traduire les vers de Cocteau en latin, alors qu'Oedipe fait partie des tragédies grecques! Il semblerait qu'il aie tout naturellement songé au grec ancien - une langue aux accents si exquis! - avant de jeter son dévolu sur le latin un medium qui, selon Stravinsky, n'est pas mort, mais changé en pierre. On retrouvera d'ailleurs cette association à la pierre dans la mise en scène, mais j'y reviendrai. Le compositeur concentre son attention sur les passages dramatiques de la tragédie, épurant l'intrigue, pour ne garder que les dialogues. Les actions principales sont confiées au récitant, de sorte qu'il en résulte des tableaux scéniques extrêmement statiques - d'où le côté oratorio de la pièce.
Ce caractère figé, dénué d'action, se retrouve à plus petite échelle au niveau des personnages. Tous portent des costumes imitant de statues païennes - en pierre - et ne bougent que la tête et les bras, immobiles comme des pierres. Seuls les messagers sont vêtus 'normalement' et se meuvent librement. La rigidité de la pierre se retrouve dans la musique de Stravinsky, tant au niveau du rythme, que de l'harmonie, simplifiée à l'extrême, du moins si l'on compare avec les autres pièces du compositeur.
Une oeuvre qui mise gros sur la symbolique. Ceux qui me connaissent un peu savent que j'ai un faible très certain pour les allusions de ce type, tant dans la littérature que dans l'art, la musique et le théâtre (donc non, je ne m'ennuie jamais dans un opéra de Wagner), parce que c'est comme une barque sans fond: il reste toujours quelque chose à découvrir. Je peux lire Le Maître et Marguerite une fois par jour pendant vingt ans, il me restera encore des aspects inconnus à trouver. C'est post-mégalo dantesque! Mais je fais encore une digression...
La mise en scène de Julie Taymor combine l'action d'une Grèce encore très archaïsante avec des décors qui rappellent les décombres de la Seconde Guerre Mondiale, tout particulièrement dans le premier choeur Caedit no pestis, durant lequel on voit des corps sans vie, squelettiques, les yeux ouverts d'étonnement dans une mort survenue si vite qu'ils n'ont pas eu le temps de comprendre ce qui se passait. Hiroshima dans Thèbes. Des images d'une violence brute que j'ai eu peine à supporter. Maquillages et costumes transforment les chanteurs et danseurs en troupes de mort-vivants loqueteux, faméliques et d'un beige sale, tandis que les caractères principaux se parent d'éléments de cultes païens primitifs.
La splendide Jessye Norman meurt dans une scène de suicide qui coupe le souffle, l'affreux pantin, miroir d'Oedipe, laisse là son armure d'innocent inconscient de sa faute et, nu et aveugle, quitte Thèbes en rampant, alors qu'une pluie bienfaisante, dont le doux bruissement sonne comme une délivrance, purifie la ville et ses habitants, lavés de leur grimage crasseux.
Un chef d'oeuvre avec une distribution excellente, soutenue par la main de fer du chef japonais Seiji Ozawa.
A voir absolument.
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Pour approfondir, il y a une brève analyse intéressante ici.
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