mercredi 4 juin 2008

Poème de juin: La Rose et le Réséda - Louis Aragon

Une idée reprise de Nebelheim, parce qu'un poème par semaine, c'était un changement trop rapide pour moi. Lorsque je découvre un poème, j'ai besoin de le garder avec moi, de l'explorer sous toutes ses coutures, de le réciter, le chanter, goûter sa sonorité dans ma bouche, le faire mien. Or avec mes multiples activités, une semaine est un laps de temps bien trop court pour apprendre à apprécier vraiment un poème.
Le poème du mois, c'est donc une page que je vais garder sur moi pendant une trentaine de jours, que je vais murmurer dans la nuit, dessiner dans mon journal, tracer sur la buée d'une vitre, réciter en jouant du piano.

Pour cette première édition, j'ai choisi un poème qui m'est très très cher.
C'était à la fin de l'automne, par l'une de ces mornes après-midi sombres sombres et nues de novembre. J'avais visionné l'un de mes films préférés, Un Monde presque paisible, qui retrace le quotidien dans un atelier de tailleurs juifs de Paris, une année après la Shoah. Ce poème est récité à la fin, par une quinzaine d'enfants.


La Rose et le Réséda
tiré de La Diane française
- Louis Aragon -

Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Tous deux adoraient la belle
Prisonnière des soldats
Lequel montait à l'échelle
Et lequel guettait en bas
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Qu'importe comment s'appelle
Cette clarté sur leur pas
Que l'un fut de la chapelle
Et l'autre s'y dérobât
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Tous les deux étaient fidèles
Des lèvres du coeur des bras
Et tous les deux disaient qu'elle
Vive et qui vivra verra
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Quand les blés sont sous la grêle
Fou qui fait le délicat
Fou qui songe à ses querelles
Au coeur du commun combat
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Du haut de la citadelle
La sentinelle tira
Par deux fois et l'un chancelle
L'autre tombe qui mourra
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Ils sont en prison Lequel
A le plus triste grabat
Lequel plus que l'autre gèle
Lequel préfère les rats
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Un rebelle est un rebelle
Nos sanglots font un seul glas
Et quand vient l'aube cruelle
Passent de vie à trépas
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Répétant le nom de celle
Qu'aucun des deux ne trompa
Et leur sang rouge ruisselle
Même couleur même éclat
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Il coule, il coule, il se mêle
À la terre qu'il aima
Pour qu'à la saison nouvelle
Mûrisse un raisin muscat
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
L'un court et l'autre a des ailes
De Bretagne ou du Jura
Et framboise ou mirabelle
Le grillon rechantera
Dites flûte ou violoncelle
Le double amour qui brûla
L'alouette et l'hirondelle
La rose et le réséda

image: Klimt,
Rosen unter Baümen

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Il existe une très belle mélodie de Georges Auric sur ce poème, qui à mon avis transcende de très loin le talent d'une part d'Auric, d'autre part d'Aragon - c'est tiré des Quatre Chansons de la France Malheureuse.

(On peut l'entendre en entier sur CSS, il y a une note sur le sujet. Si ça t'intéresse, fais-moi signe par courriel, je te donnerai les références du disque.)

la. a dit…

°David - oh, j'y cours j'y vole!
(surout que je n'ai jamais entendu parler de monsieur Auric!)
Merci!