Si vous écoutez l'Arabesque de Schumann sous les doigts de Evgeny Kissin (promis, je ne vais pas le mentionner dans chaque article. Mais.), vous remarquerez que l'on entend beaucoup les inspirations du pianiste. Les respirations "musicales" si je puis dire, celles qui ne sont pas naturelles et inconscientes - du moins au départ - mais qui sont dictées en quelque sorte par la phrase musicale.
Etant pianiste, la respiration a longtemps été pour moi quelque chose d'aussi secondaire que les battements du coeur ou le clignement des yeux. Jusqu'à ce qu'un jour, devant le public genevois, j'ai joué deux pages de Liszt en apnée, sous l'influence du stress. J'en suis par ailleurs presque tombée de mon tabouret; le clavier gondolait dangereusement, les touches blanches m'aveuglaient, et, pire que tout, le clavier s'est transformé en une alternance à l'infini de touches noires et blanches, une perte de repère totale et terrifiante. Heureusement, un unisono de mi avec point d'orgue m'a permis d'inspirer profondément et de retrouver mes esprits.
Depuis ce jour, j'essaie de respirer de manière plus ou moins consciente. Dur dur.
Je n'avais jamais entendu un pianiste respirer. Par-contre, mon professeur de violoncelle respire fort et beaucoup avec la musique. Certains de ses élèves avancés le copient, ce qui me semblait être affecté et une peu je-me-la-pète. Donc pas pour moi.
Sous le pont Mirabeau coule la Seine. Beaucoup de nuit sont venues, beaucoup d'heures ont sonné, beaucoup de jours s'en sont allés.
Et j'étais dans le train cheminant dans le soleil de midi, les yeux errant à travers champs et les oreilles souriant à la troisième Ballade de Chopin - ma préférée en ce moment. Là, je suis surprise d'entendre les inspiration d'Evgeny Kissin, bruit qui se perdait lorsque je l'écoutais chez moi, dans le lecteur CD. Force m'a été d'admettre que le souffle de l'artiste, loin d'être ridicule, affecté ou déplacé, contribue au ressenti de la musique. Entendre le musicien respirer, c'est une manière de respirer avec lui, d'entrer en symbiose avec son jeu. Personnellement, j'irais jusqu'à affirmer que le bruit de la respiration me procure un plaisir aussi intense qu'une note aiguë fine, cristalline et perlée qui tombe légère comme une goutte de pluie.
Vivent les musiciens que l'on entend respirer avec la musique!
Sans mentionner qu'un musicien qui respire est un musicien qui joue plus librement, avec d'un côté un son plus ample, donc plus rond, et de l'autre sera beaucoup moins enclin à des tendinites et autres douleurs dans le dos et la nuque.
Alors...
A vos marques, prêts.... Respirez!
Carl LOEWE – Gutenberg et le chœur des imprimeurs assassins
Il y a 1 semaine
11 commentaires:
Il est par ailleurs vrai que les chefs qui respirent avant l'attaque... ça facilite la tâche...
Malheureusement, ce n'est pas le cas de tous !
Pfff... ces pianistes et ces violoncellistes qui peuvent se payer le luxe de respirer ou pas, comme ils veulent, quand ils veulent, de façon naturelle ou/et musicale... En hautbois, c'est le premier truc que tu apprends... mais pas le premier que tu sais faire.
Bande de privilégiés !
°Ben - Bah, au final, c'est le chef qui assume les conséquences. Tant pis pour lui s'il ne respire pas au début et que les musiciens commencent comme ça vient!
°Doudou - Je ne suis pas sûre qu'on soit privilégiés. On perd l'habitude de respirer, on oublie l'importance de la respiration. Ensuite, c'est tellement difficile à corriger le tir!
Des fois, c'est quand même bien d'avoir des partitions pleines de "virgules" =D (encore faut-il les "appliquer", après, bref)
Jouer en apnée, pas mal ça, jamais essayé, peur d'étouffer sans doute (en fait, c'est pas en jouant que j'oublie, mais en faisant d'autres choses, style lire, écrire, écouter, ou n'importe quoi d'autre, que j'oublie de respirer des fois, je sais, c'est bête mais c'est comme ça!)
Le problème, c'est qu'il y a des endroits où la musique n'a pas besoin de respiration, mais toi si. Alors faut que tu la cases, envers et contre tout (ou que tu te démerdes avec la respiration continue... ô joie...).
Et puis c'est tendu, parce que quand tu gères mal une respiration, ça te tend, donc tu loupes les suivantes, et tu finis l'exam sur les rotules.
Bon... après, le super avantage, c'est que t'apprends pas seulement à respirer, mais à bien respirer, d'une façon spéciale, et ça permet de gérer le stress, c'est dingue. Après tu peux t'en servir partout (genre pour les oraux à la fac :D )
Quand j'étais petite, j'avais trouvé une technique, à la flûte à bec, pour respirer sans "casser" la mélodie, donc du coup c'était comme si j'avais plus besoin de respirer, ctait trop cool.
Sauf que mainant j'ai oublié :(
°Céline - Si tu joues en apnée, tu peux toujours espérer qu'on son sorte de ton fluteau...
°Doudou - Chacun ses avantages et ses problèmes! Moi, j'essaie de chanter avant un truc stressant. Tu stresses avant des examens universitaires?! O_o
°Céline - Bin bravo, je ne te félicite pas!!
Bah faut bien que je me trouve des raisons de stresser...
(pour la respiration continue, on gonfle les joues, et quand on souffle avec l'air des joues, on en profite pour inspirer par le nez)
Merci, je sais ce qu'est la respiration continue. (Eh oh, quand-même!)
C'est vrai qu'on n'apprend pas aux pianistes à respirer. Pourtant les bons pianistes respirent, et les bons compositeurs aussi d'ailleurs.
Certains compositeurs respirent même tellement longtemps qu'ils n'arrivent plus à placer un seul son dans leur partition (au hasard: John Cage) ;o)
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