Salle Pleyel, Paris, 01.04 et 02.04.2009, 20:00
Paris contient désormais une foule de petits rituels - regarder les gens à la terrasse d'un café, faire les librairies Boulevard St-Michel, lire dans le métro, oublier de manger et marcher à avoir les pieds en sang. Et aller à un concert à Pleyel.
L'automne, c'était mon pianiste préféré dans un récital de Lieder russes. Pleyel intime, feutré, apaisant comme un cocon. Au printemps, c'est Pleyel éclatant, enivrant de chromatismes, grandiose et étourdissant de puissance, avec Mahler et Bruckner et un orchestre immense - 9 contrebasses, et bien 70 musiciens sur scène pour Bruckner! (et oui, je viens de la province et n'avais encore jamais vu un tel effectif. C'est assez trippant la première fois.)
La première moitié du concert préparait à l'explosion brucknerienne avec les émouvants Kindertotenlieder de Mahler, chantés par la contralto Nathalie Stutzmann, qui savait rendre ces douloureux poèmes extrêments vivants. Malheureusement, sa belle voix grave était souvent engloutie par l'orchestre, de sorte qu'il fallait souvent tendre l'oreille pour l'entendre, également pour comprendre le texte, heureusement imprimé sur les programmes. Malgré cela, ce sont les bustes tendus en avant et le souffle retenu que le public écoute ces chants de souffrance aveugle, et le silence qui précède les applaudissements est lourd, angoissant.
En seconde partie, la scène s'est remplie, et la salle s'est peu à peu vidée durant le premier mouvement de la neuvième de Bruckner. Cette oeuvre magistrale que le chef titulaire de l'Orchestre de Paris présente aux mélomanes de la capitale ne semble pas être au goût de tout un chacun. Il faut dire que les forte sont réellement forte, les tympans bourdonnent et la fin du concert les laissera douloureux jusqu'au lendemain. Mais.
La masse des musiciens est dirigée par une main de maître, une main de fer qui coordonne ajuste et façonne les sons. Ce sont une cinquantaine d'archets qui fendent l'air simultanément, un bonne vingtaine de vents qui attaquent les notes dans un même souffle. Eschenbach semble baser son interprétation sur les contrastes sonores. L'orchestre gonfle et se tend jusqu'à faire mal, et soudain, c'est ce silence assourdissant qui laisse pantelant. Pour ma part, j'aurais aimé qu'il laisse ces silences plus larges, pour leur donner toute leur puissance, au lieu de passer parfois un peu trop vite. Néanmoins, c'est une oeuvre grandiose qui fait trembler les murs de Pleyel. Dans le scherzo, si certaines attaques des cordes étaitent parfois un peu molles en comparaison avec l'excellente précision des vents, le mouvement a sû garder une bonne cohésion entre les différentes sections de l'orchestre, et l'énérgie quasi puérile a pu être conservée tout au long de ce deuxième mouvement. Un magnifique mouvement lent, lyrique et chaleureux, dans lequel je déplore uniquement les violons, trop sages et pas assez parfumés dans les grands traits mélodieux. Peut-être trop légers, trop français? Le finale revient avec ses contrastes et sa grandeur démesurée caractéristique des oeuvres de cette époque - je ne parle ici pas que de la musique, mais de l'art en général.
C'est une très belle interprétation, osée, douloureuse pour les oreilles, et qui laisse complétement groggy. Mais ce n'est pas encore ma version de référence. Celle-là, je la cherche toujours (si vous avez des suggestions...).
Paris contient désormais une foule de petits rituels - regarder les gens à la terrasse d'un café, faire les librairies Boulevard St-Michel, lire dans le métro, oublier de manger et marcher à avoir les pieds en sang. Et aller à un concert à Pleyel.
L'automne, c'était mon pianiste préféré dans un récital de Lieder russes. Pleyel intime, feutré, apaisant comme un cocon. Au printemps, c'est Pleyel éclatant, enivrant de chromatismes, grandiose et étourdissant de puissance, avec Mahler et Bruckner et un orchestre immense - 9 contrebasses, et bien 70 musiciens sur scène pour Bruckner! (et oui, je viens de la province et n'avais encore jamais vu un tel effectif. C'est assez trippant la première fois.)
La première moitié du concert préparait à l'explosion brucknerienne avec les émouvants Kindertotenlieder de Mahler, chantés par la contralto Nathalie Stutzmann, qui savait rendre ces douloureux poèmes extrêments vivants. Malheureusement, sa belle voix grave était souvent engloutie par l'orchestre, de sorte qu'il fallait souvent tendre l'oreille pour l'entendre, également pour comprendre le texte, heureusement imprimé sur les programmes. Malgré cela, ce sont les bustes tendus en avant et le souffle retenu que le public écoute ces chants de souffrance aveugle, et le silence qui précède les applaudissements est lourd, angoissant.
En seconde partie, la scène s'est remplie, et la salle s'est peu à peu vidée durant le premier mouvement de la neuvième de Bruckner. Cette oeuvre magistrale que le chef titulaire de l'Orchestre de Paris présente aux mélomanes de la capitale ne semble pas être au goût de tout un chacun. Il faut dire que les forte sont réellement forte, les tympans bourdonnent et la fin du concert les laissera douloureux jusqu'au lendemain. Mais.
La masse des musiciens est dirigée par une main de maître, une main de fer qui coordonne ajuste et façonne les sons. Ce sont une cinquantaine d'archets qui fendent l'air simultanément, un bonne vingtaine de vents qui attaquent les notes dans un même souffle. Eschenbach semble baser son interprétation sur les contrastes sonores. L'orchestre gonfle et se tend jusqu'à faire mal, et soudain, c'est ce silence assourdissant qui laisse pantelant. Pour ma part, j'aurais aimé qu'il laisse ces silences plus larges, pour leur donner toute leur puissance, au lieu de passer parfois un peu trop vite. Néanmoins, c'est une oeuvre grandiose qui fait trembler les murs de Pleyel. Dans le scherzo, si certaines attaques des cordes étaitent parfois un peu molles en comparaison avec l'excellente précision des vents, le mouvement a sû garder une bonne cohésion entre les différentes sections de l'orchestre, et l'énérgie quasi puérile a pu être conservée tout au long de ce deuxième mouvement. Un magnifique mouvement lent, lyrique et chaleureux, dans lequel je déplore uniquement les violons, trop sages et pas assez parfumés dans les grands traits mélodieux. Peut-être trop légers, trop français? Le finale revient avec ses contrastes et sa grandeur démesurée caractéristique des oeuvres de cette époque - je ne parle ici pas que de la musique, mais de l'art en général.
C'est une très belle interprétation, osée, douloureuse pour les oreilles, et qui laisse complétement groggy. Mais ce n'est pas encore ma version de référence. Celle-là, je la cherche toujours (si vous avez des suggestions...).
12 commentaires:
commment ça, "trop légers, trop français" ? :(
Vous voulez vraiment reprendre quelques miettes de croissant dans votre café, mademoiselle Lavinie ?
Ben oui, Bruckner,faut y mettre la sauce. Un son plus épais, un peu russe, à la limite de l'obscène.
Non merci pour les miettes. D'ailleurs, je fais une cure de désintoxication. Thé vert - pain complet.
Une cure de désintoxication de la cuisine française, hein ? Vous aggravez singulièrement votre cas, mademoiselle Lavinie :) A vrai dire, j'ai toujours eu un peu de mal avec Bruckner. Je sais que ce fut un symphoniste génial - mais il ne m'apporte pas ce que j'attends de la musique.
Lard ou cochon?
Il faut écouter la 4ème. Le premier mouvement, c'est . [speechless]
Merci du conseil, je vais faire un effort. Mais peut-être que mon cas est tout à fait désespéré ?
Je ne suis pas sûr de bien comprendre ta question. J'essaie de ne pas être cochon - tout au moins avec les personnes que je ne connais pas encore suffisamment :)
Rhô!...
Nous nous sommes donc quasiment croisés...
C'est un problème récurrent avec Stutzmann, qui projette très mal, mais dans Mahler, je suis étonné, c'est justement le seul répertoire où elle est vraiment sonore. (Non, ce n'est pas la salle, parce que je parle précisément des pires conditions acoustiques imaginables.)
Pour la fine fleur fin de siècle, c'est étrange, je n'aurais pas vu ce programme, mais pourquoi pas.
Pour la Neuvième, quitte à paraître farfelu, je trouve que Karajan se défend particulièrement, justement dans les saveurs capiteuses que tu attends. Pour le coup, on songe très fortement à Wagner (et à la Symphonie de Chausson, donc effectivement, ça ne sonne pas du tout français).
Vrai?!
Pour Stutzmann, je pense que c'était surtout dû à la tessiture extrêmement basse dans certains chants (le 3ème notamment). Et le fait qu'il y avait des imprécisions dans la diction a certainement contribué à cette impression qu'elle était mangée par l'orchestre.
Oh, j'imagine que Bruckner doit se sentir très flatté que l'on songe à Wagner en écoutant son œuvre!
Rhâ, je ne connais pas la symphonie de Chausson. Pire: je ne savais même pas qu'il avait écrit pour orchestre O_o
Elle est contralto, quand même... (Bien, pas sûr que ce soit un vrai contralto à mon avis, mais c'est une autre histoire.)
C'était voulu pour Bruckner de toute façon, parce qu'il y a quasiment des citations dans le premier mouvement de la Neuvième.
La symphonie de Chausson est un peu dans la même esthétique wagnérisante que le Roi Arthus, rien à voir avec le Chausson du Concert ou des mélodies.
Il y a beaucoup de versions, toutes ne sont pas bonnes (éviter Paray), au moins une est superlative (Svetlanov), et il en existe beaucoup de très bonnes.
Contralto, oui; mais si je joue du violon dans un groupe de musiciens, on m'entendra mal lorsque je joue sur les cordes graves que si je joue à l'octave.
Il paraît, pour Bruckner. J'ai honte, j'ai rien entendu de tout cela. C'était trop prenant je crois.
Merci, je prends note!
(Oui, presque croisés, puisque j'étais aux Fées le 4 et le 5. Presque...)
(A propos, la vue de la Seine est assez extraordinaire.)
Hmpf.
Encore une allusions aux Fées, et je mange tout le monde.
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