samedi 30 janvier 2010

Confessions d'un bourgeois (Sándor Márai)

Intersemestre, nouveau job (à l'opéra!) et donc relative sécurité financière, coloc' gone partying et B. en quarantaine avec sa grippe, tous les astres coïncident pour que je revienne peupler de quelques mots cet espace laissé longtemps à lui-même. Avec une critique d'un livre merveilleux que j'ai malheureusement dû me résoudre à terminer hier soir, grelottant dans mon lit sous la lumière cinglante du plafonnier. J'ai acheté une table de nuit et une lampe de chevet ce matin, et puis j'ai commencé les Trois Mousquetaires. (Mais je ne crois pas que je les terminerai aujourd'hui.)

livre de poche, 571 pages


Quatrième de couverture:

Avec cette grande " histoire de famille " inspirée par la vie des siens, l'écrivain hongrois Sandor Marai (1900-1989) écrit sa Confession d'un enfant du siècle, tout à la fois itinéraire personnel et description subtile de la bourgeoisie hongroise au début du siècle. Marai, intellectuel, voyageur, journaliste à la Frankfurter Zeitung, fréquentant à son heure les cercles de Montparnasse, se souvient de ses ancêtres, riches artisans d'origine saxonne ou morave, des traditions et des idéaux qui ont peu à peu pétri un milieu épris de démocratie et de modernité avant que, à l'image des Buddenbrook de Thomas Mann, son accession au pouvoir et l'oubli de ses devoirs ne le condamnent au déclin. Mêlant mémoires et confessions, retraçant son propre parcours d'artiste, l'auteur de La Conversation de Bolzano et des Révoltés dit sa fidélité aux origines, évoque le bonheur d'une petite ville hongroise de province où cohabitent Hongrois, Allemands, Slovaques, Juifs, et qui prend rapidement la dimension du monde.



Mon avis: *****
Évidemment, j'ai adoré. Déjà rien que le terme "bourgeois", carrément dans le titre. Et puis la période, le XXe siècle naissant. Et l'exotisme de l'auteur - je n'avais encore jamais touché à la littérature hongroise. Sándor Márai nous raconte son enfance entre Kassa et Budapest, dépeint les mœurs de sa ville natale, relate sa vie de bohème à travers l'Europe d'abord, puis le monde. Il y a les femmes qu'il rencontre et qu'il oublie ensuite, les années parisiennes dans l'entre-deux-guerres, les commérages à Pest et les écrivains qui hantent les cafés de Buda. Les souvenirs de grandes vacances à la campagne, la naissance d'une vocation, celle de journaliste, celle d'écrivain. Et cette extraordinaire solitude qui se colle à ses pas.
C'est très bien écrit, cela révèle - Sándor Márai écrivain n'a pas perdu pour autant sa fibre journalistique - des pans entiers d'Histoire, observée sous un tout autre angle, et l'on se retrouve dans son introspection très subtile. Du moins je m'y retrouve!

28 commentaires:

Gabriel a dit…

Je suis peut-être moi-même une sorte de bourgeois. Pourtant, ce mot éveille toujours en moi une forme de répulsion. Il y a un esprit bourgeois et il y a esprit aristocratique (il ne s'agit pas de naissance bien entendu) et les deux sont parfaitement antagonistes. Wagner est sans doute un bourgeois mais toute son oeuvre en est la condamnation.
Le bourgeois c'est celui qui croit avoir atteint la terre promise, s'y être installé à tout jamais. L'aristocrate sait quant à lui que l'objet de sa quête est inaccessible, que l'on ne peut que tendre vers lui, en errant dans le désert.

St Exupéry a très bien caractérisé ce que j'entends par "bourgeois":
«Ils croupissaient dans l’illusion du bonheur qu’ils tiraient de biens possédés. Alors que le bonheur n’est que chaleur des actes et contentement de la création. Ceux qui n’échangent plus rien d’eux-mêmes et reçoivent d’autrui leur nourriture, fût-elle la mieux choisie et la plus délicate, ceux-là mêmes qui, subtils, écoutent les poèmes étrangers sans écrire leurs propres poèmes, jouissent de l’oasis sans la vivifier, usent des cantiques qu’on leur fournit, ceux-là s’attachent d’eux-mêmes à leurs râteliers dans l’étable et, réduits au rôle de bétail, sont prêts pour l’esclavage» (St Exupéry, Citadelle)

Sans doute n'entendons-nous pas le mot de la même façon.
Puisque vous êtes plongée dans le Ring, Lavinie, vous comprendrez, à défaut d'y souscrire peut-être, le parallèle suivant: Siegfried est une âme aristocratique; Gunther, un esprit bourgeois.

la. a dit…

Selon Saint-Exupéry, je suis donc totalement bourgeoise. Et puis d'ailleurs, même sans cette citation, il suffit de jeter un coup d'oeil à mon petit deux pièces pour le voir: dans la pièce de 24m2 il y a deux étagères de livres, trois instruments, une pile de partitions et de disques, je vais en moyenne un soir sur deux au conert ou à l'opéra. Mais les courants d'air traversent la chambre, les carreaux sont fendus, la douche est dans la cuisine, le rebord de la fenêtre sert de frigo et le plat principal est du riz nature ou des pâtes au beurre.

Après, évidemment que le terme bourgeois possède une connotation négative, alors que celui d'aristocrate est noble. Mais Márai ne donne pas une image de bourgeois ventripotent capitaliste. Au contraire, il hante les masures sombres et humides dans les quartiers populaires (du moins à Berlin), défend des idées de gauche.
Je pense que le bourgeois recherche l'essence aristocratique, sans jamais y parvenir, parce que ce n'est pas dans ses gênes. Mais justement, être aristocrate, c'est son but, au départ.

Gabriel a dit…

«Mais les courants d'air traversent la chambre, les carreaux sont fendus, la douche est dans la cuisine, le rebord de la fenêtre sert de frigo et le plat principal est du riz nature ou des pâtes au beurre.»

Ca, c'est le côté bohème*, qui fait le bobo (je plaisante!) On est bien d'accord. Moi aussi j'ai plein de bouquins, de disques... (alors j'ai du souci à me faire si l'on prend les choses au pied de la lettre) Mais à vrai dire, dussé-je m'en séparer, je le ferais sans problème. L'important c'est être, non pas avoir. Il n'y a que les êtres qui soient dignes d'attachement.

A bien y réfléchir, votre quête de savoir a quelque chose d'absolument pas bourgeois.

«Je pense que le bourgeois recherche l'essence aristocratique, sans jamais y parvenir, parce que ce n'est pas dans ses gênes.»

Peut-être. Il s'enivre de lectures héroïques mais est incapable de poser lui-même un acte héroïque. Le bourgeois a peur de la mort. Dans cet ordre idée, "bourgeois" relève d'une disposition d'esprit (car aucun être n'est réductible à une étiquette). Le bourgeois peut devenir aristocrate mais cela nécessite une conversion intérieure, un arrachement. C'est la différence entre concevoir une vérité et vivre selon cette vérité.

* quelle idée d'aller étudier dans un pays sans Picard surgelés! Voilà qui témoigne d'une réelle disposition à l'héroïsme.

PS: Les idées de "gauche" (non pas que je sois de droite, j'ai horreur des catégories), c'est tout ce qu'il y a plus de bourgeois. C'est la contamination du peuple par l'esprit de confort matériel. Nicolas Berdiaev l'a assez bien compris
cf http://www.berdyaev.com/berdiaev/berd_lib/1917_266.html

PPS: En tout cas merci d'avoir signalé cet auteur dont on ne parle pas beaucoup (je ne me souviens pas l'avoir croisé pour ma part)

la. a dit…

On parle de plus en plus de Márai en France depuis quelques temps. L'un de ses romans est paru en livre de poche il y a 1-2 ans, et puis son journal a été publié et traduit...

PS-Je suis très bourgeoise alors: je n'ai aucune envie de mourir, mais alors vraiment aucune! ;-)

delest a dit…

On parle de Maraï depuis une quinzaine d'années. Je me souviens avoir lu en 2000 ses Mémoires de Hongrie, impressionnantes par la simplicité et la force de son témoignage sur l'immédiat après-guerre. Et puis, il est astucieux de lire sous une lumière cinglante.
Ça fouette l'imagination.

la. a dit…

... ou un delest de poche; ça aussi, ça fouette l'imagination!

Gabriel a dit…

@delest
Faut dire que je suis très peu l'actualité, la mode, a fortiori littéraire (Au risque de déplaire, je suis pas abonné au feed de la "république des livres". Sans même évoquer l'auteur, rien que le mot "république"...). A ma façon, je vis "hors du temps". Je connais quelqu'un qui prétend aimer les gens comme moi (lu sur twitter), mais c'est une menteuse, je crois (je parle pas de la délicieuse Lavinie) ou une âme très forte (au choix, ou les deux réunis).

Parlant d'héroïsme (plutôt pitoyable), à signaler: http://livres.fluctuat.net/viktor-pelevine/livres/omon-ra

delest a dit…

Oui, mais je ne suis pas une lumière hélas. Par contre, je la reflète volontiers, comme un miroir.
Oui oui, j'aime réfléchir.

la. a dit…

Delest, chapeau, je ne trouve rien à redire! ;)

delest a dit…

Désolé de ne pas avoir donné prise à ton esprit caustique et moqueur.
Nul doute que je ferai mieux la prochaine fois :)

Gabriel a dit…

@delest
La raison pour laquelle Lavinie ne trouve rien à redire, c'est qu'elle se voit bien en Lumière entourée de miroir(s) (condition que je récuse pour ma part)

N'est-il point, Lavinie? ;-)

PS: moi je me vois bien en malade "errant de salle en salle", longeant d'"interminables corridors à la recherche d'une femme" :)))
cf
http://www.youtube.com/watch?v=019kmMFpCcI

(de quoi compléter la culture cinématographique de la maîtresse des lieux)

Gabriel a dit…

Mon cher delest, pour vous consoler de la "causticité" de Lavinie:

"Seulement, voici l’opinion à laquelle je suis arrivé dans ces huit jours, Parfène, je vais te la dire : sais-tu que maintenant elle t’aime peut-être plus que personne ? Je dirai même que plus elle te tourmente, plus elle t’aime. Elle ne te le dit pas, mais il faut savoir le deviner. Pourquoi, au bout du compte, veut-elle t’épouser ? Un jour elle te le dira à toi-même. Il y a des femmes qui veulent être aimées ainsi, et elle est justement de ce nombre ! Ton caractère et ton amour doivent l’impressionner ! Sais-tu qu’une femme est capable de tourmenter cruellement un homme, de lui décocher les plus amers sarcasmes, sans éprouver un seul remords de conscience, parce que chaque fois elle se dit à part soi en vous regardant : « À présent je lui fais souffrir mort et passion, mais en revanche, plus tard, je le dédommagerai par mon amour… »

Après avoir écouté le prince jusqu’au bout, Rogojine se mit à rire.

— Mais quoi, prince, est-ce que toi-même tu n’en aurais pas rencontré une pareille ? J’ai entendu parler de quelque chose, serait-ce vrai ?"

http://fr.wikisource.org/wiki/L%E2%80%99Idiot/III/Chapitre_3

PS: On n'aurait dû m'avertir que Fédor Mikhailovitch était un érotomane, ça m'aurait éviter de le suivre dans ses raisonnements tortueux (j'ai eu le malheur de lire ce crétin à un âge précoce :) )

Claudio Pinto a dit…

Voilà, vous m'avez convaincu de lire ce livre et de découvrir son auteur.

Content de revenir sur votre page.

la. a dit…

delest, en même temps, c'est une victoire facile, je suis sur les rotules en ce moment. Tiens, d'ailleurs je vais aller buller dans les bains thermaux-impériaux- cette après-midi (oui, rien que ça).

Gabriel, oui-oui, sans doute (un jour ma paresse me perdra).

Claudio, il faut, il faut!

Gabriel a dit…

"un jour ma paresse me perdra"
ma chère Lavinie, pour vous décomplexer:
http://www.youtube.com/watch?v=vG4yTT_LMrw
(à regarder à partir de 4:40)

Unknown a dit…

Aprés tous tes "1" viennois, tu l'as bien mérité.
Oui oui, c'est un commentaire gentil et sans vanne, mais que m'arrive t-il ?
Il va falloir que le suivant soit bien gratiné, pour compenser.

la. a dit…

Gabriel, mais je veux pas être décomplexée!! Au contraire! Je fais un double cursus, il serait temps que ça me rentre dans le crâne et que je me mette au travail!

Mathieu, Kyrie eleison, donc.

Unknown a dit…

Pourquoi as tu coupé les commentaires, sous tes beaux textes de Пела, пела пташечка ?

la. a dit…

Parce que ce sont des textes que je n'avais pas envie de discuter, au fond. Ils sont là, chacun est libre de s'imaginer ce qu'il veut, croire ce qu'il veut, mais sans lancer un débat ou me cribler de questions.

Gabriel a dit…

@Mathieu
C'est en grande partie de ma faute. J'ai abusé de l'hospitalité de Mademoiselle et me suis autorisé une taquinerie déplacée (une de trop). Lavinie, ayez l'obligeance de bien vouloir me pardonner... (en ce dimanche du pardon)

un peu de poésie...
http://www.youtube.com/user/vereiana#p/a/u/1/O6lhEhF84dY

la. a dit…

Mais non, c'est la faute à personne, j'avais juste pas envie de commentaires, c'est tout! ;-)

Anonyme a dit…

Nous sommes tous des 'bourgeois' : privilégiés, élitistes, individualistes et - malheureusement - cultivés ! Ce qui met en grand danger les discours préfabriqués et les idéologies, autres 'prêt-à-porter' de la pensée...

Je suis heureux de vous retrouver Lavinie : voyez mon nouveau blog "Jeudemeure" d'inspiration sournoisemnt 'bourgeoise'. RO

Gabriel a dit…

Elitisme ou plutôt anti-conformisme qui exclut tout forme de condescendance, ou de mise à l'écart d'autrui. S'il faut être exigeant, c'est avant tout envers soi-même. Et on ne saurait de cela tirer le moindre orgueil.

«Celui qui s'arrête sur le seuil et se détourne, orgueilleux des marches gravies, entre et redescend dans son propre regard, quelque vague qu'ait été
ce regard, et il a — pour mesure de sa chute — l'orgueil même qu'il a éprouvé de sa dès lors fictive élévation» (Axël, Villiers de l'Isle Adam)

A celui à qui il est accordé beaucoup, il sera demandé davantage. Ne pas oublier la parabole des talents.
http://www.biblia-cerf.com/BJ/mt25.html

Anonyme a dit…

"La parabole des talents", je m'en fous... Bourgeois, oui, mais pas Pharisien... RO

Gabriel a dit…

C'est intéressant que vous réunissiez "bourgeois" et "pharisien" dans la même phrase.
Le pharisaïsme c'est une attitude, qui traduit à sa façon, la recherche d'un certain confort dans la foi
(à ce sujet, j'avais laissé un commentaire ici: http://www.moinillon.net/post/2010/01/15/a-propos-de-notre-seminaire-russe-de-Paris#c8779886)

A noter que le judaïsme moderne (dans lequel Weininger dénonce "l'extrême de la couardise") est en grande partie héritier de cette tradition.

Ca va pas plaire à Princesse Lavinie que je cite Louis-Ferdinand mais je ne peux m'en empêcher (naturellement, je l'autorise à censurer)

«Le seul vrai regret du bourgeois c’est de pas être né juif, juif tout à fait, depuis toujours, papa maman. La vraie noblesse de notre époque. Il l’imite en tout et pour tout, mêmes opinions, mêmes engouements, mêmes vedettes, mêmes répulsions, mêmes morues, mêmes zibelines. Il file le y..... train comme il peut, Ben Pourceaugnac.»

Anonyme a dit…

May your passion be the kernel of corn stuck between your molars, unendingly reminding you there's something to demonstrate a tendency to.

Anonyme a dit…

It was formerly a question of verdict to whether or not being had to have a meaning to be lived. It any longer becomes perspicuous, on the opposite, that it will be lived all the think twice if it has no meaning.

Anonyme a dit…

When he who hears does not remember what he who speaks means, and when he who speaks does not be versed what he himself means, that is moral