dimanche 27 janvier 2013

Le sermon sur la chute de Rome (Jérôme Ferrari)

Actes Sud, 208 pages


Quatrième de couverture : 


Dans un village corse perché loin de la côte, le bar local est en train de connaître une mutation profonde sous l'impulsion de ses nouveaux gérants. À la surprise générale, ces deux enfants du pays ont tourné le dos à de prometteuses études de philosophie sur le continent pour, fidèles aux enseignements de Leibniz, transformer un modeste débit de boissons en "meilleur des mondes possibles". Mais c'est bientôt l'enfer en personne qui s'invite au comptoir, réactivant des blessures très anciennes ou conviant à d'irréversibles profanations des êtres assujettis à des rêves indigents de bonheur, et victimes, à leur insu, de la tragique propension de l'âme humaine à se corrompre.
Entrant, par-delà les siècles, en résonance avec le sermon par lequel saint Augustin tenta, à Hippone, de consoler ses fidèles de la fragilité des royaumes terrestres, Jérôme Ferrari jette, au fil d'une écriture somptueuse d'exigence, une lumière impitoyable sur la malédiction qui condamne les hommes à voir s'effondrer les mondes qu'ils édifient et à accomplir, ici-bas, leur part d'échec en refondant sans trêve, sur le sang ou les larmes, leurs impossibles mythologies.


Mon avis :

J'ai lu beaucoup de critiques très positives, il a reçu le Prix Goncourt (quand-même !), bref : tout le monde semble adorer à la fois l'histoire et le style, je dois être une idiote solitaire qui n'a rien compris. Tant pis, j'assume. L'histoire en elle-même, la chute d'une utopie, la fin d'un monde (celui du petit bistrot d'un village corse) est une actualisation intéressante de la chute de l'Empire romain. Il y a beaucoup de petits symboles jetés ça et là au long du roman, et c'est peut-être de ma faute si je ne connais pas assez bien cette période de l'histoire pour saisir tous les clins d'oeil de l'auteur et découvrir toute la richesse du récit. Admettons.
Champ lexical de la putréfaction, de la nausée et des accouplements, les hommes ne pensent qu'à boire et coucher avec les serveuses du bar, les femmes ne sont que des prostituées voleuses et pleurnichardes.  On se retrouve dans Céline, Voyage au bout de la nuit. Utiliser des images qui évoquent la décomposition et la décadence, évidemment, c'est en rapport avec le thème choisi. Mais faut-il vraiment y rester bloqué pendant près de 200 pages? Le style manque de finesse, les mots perdent leur poids et le dégout, à force de répétition, se transforme en lassitude. Quel soulagement alors d'ouvrir le dernier chapitre dans lequel enfin on quitte le style visqueux pour une langue précise et nette, et qui exprime tellement plus.
Je reste perplexe et vaguement inquiète : pourriture, bave et sperme – est-ce là vraiment tout ce que la littérature française a à offrir ? Notre société a-t-elle l'âge mental d'un enfant de cinq ans, fasciné par tout ce qui le dégoute ? 
Au final, le roman de Ferrari en soi me dérange moins que le fait qu'on lui ait attribué le Goncourt. Il me semble qu'un écrivain n'est pas seulement un habile conteur d'histoires mais aussi un artiste de la langue, quelqu'un qui fait de la musique et de la peinture avec les mots. Et c'est là une qualité que je retrouve de moins en moins dans la littérature actuelle. 

lundi 14 janvier 2013

Im Bett zusammen lesen

(Ce blog revit, c'est fou!)
Le dernier recueil de poèmes de Thomas Kunst (souvenez-vous de ce poème que j'aime tant) dans les mains. Le même papier élégant que celui des Éditions Actes Sud, une odeur de colle subtile, presque fruitée et surtout le rythme des vers, cette musique de va et vient têtu et monotone comme le clapotis des vagues:

Gehe heute Nacht bitte nicht mehr zurück
In deine Wohnung, du kannst auch gern in
Deiner Lieblingstasse schlafen, die neben
Meiner Lieblingstasse steht, wir spielen
Vorher Stadt Land Name Tier Gewässer und
Vernichten die Zettel gleich wieder, wenn
Die Ergebnisse zu eng zusammenliegen,
Nonnenfalter, Niersteiner See, wir steigen
Nach dem Match in voller Montur über die
Beiden Henkel tief in unsere Tassen
Runter, in deinem Bett war gestern Tee
Für deine Atemwege, am nächsten
Morgen, bevor du dann in deinem Wagen
Davonschneist, gehst du zum letzten
Mal bei den vier Papiertonnen in meinem
Hinterhof vorbei und schmeißt unsere klein-
Gefetzten, gereizten, von Schnee und
Licht noch einmal richtig aufgeheizten
Spielberichte in die Tonne, die
Dir von innen jetzt am wenigsten
Entgegenkommt, es gibt gar keine
Nonnenfalter im Niersteiner See.

Thomas Kunst, Legende vom Abholen, Berlin: Edition Rugerup, 2011, p. 76.

samedi 12 janvier 2013

Die Welt von Gestern: Erinnerungen eines Europäers (Stefan Zweig)

Fischer Taschenbuch Verlag, 512 pages


Quatrième de couverture:

Erinnerungen an die Welt von Gestern – an die bürgerliche Welt, die in zwei Weltkriegen unterging. Erinnerungen an das alte Wien, und an ein unstetes Leben: Europa auf der Flucht vor sich selbst. Stefan Zweigs Lebensgeschichte und zugleich die seiner Generation. 


Mon avis:

Un livre lu durant les deux jours passés dans le train entre l'Autriche et la Suisse, dans une urgence fiévreuse dont Zweig lui-même me livre l'explication lorsqu'il s'interroge sur les raisons du succès que rencontrent ses romans: il est, écrit-il, un lecteur impatient. Seuls les textes qui tiennent le lecteur en haleine jusqu'à la dernière ligne lui procurent une satisfaction parfaite. Impatience qui n'épargne d'ailleurs même pas les grands classiques de la littérature, ainsi qu'il a l'honnêteté de l'admettre.*
Dans ce récit autobiographique rédigé dans l'exil brésilien entre 1939 et 1941, Zweig dresse un portrait critique et très juste de l'Europe du tournant du siècle jusqu'à la Seconde Guerre mondiale. Portrait d'une société bourgeoise au bord du gouffre, d'une jeunesse nouvelle qui rejette en bloc tout ce qui s'apparente de près ou de loin à la tradition, portrait également d'un artiste profondément cosmopolite, qui cherche son rôle dans une Europe qui dresse ses peuples les uns contre les autres au nom d'un nationalisme artificiel. 
Le texte s'ouvre sur l'Europe d'avant-guerre, lente et majestueuse comme un roi patriarcal, dans l'illusion d'une sécurité inébranlable. L'Europe des hommes respectables et barbus, et qui fait rimer sagesse avec vieillesse. Zweig raconte ses années de Bohème, Berlin, Paris, Londres, Bruxelles, les amitiés nouées avec Rolland et Verhaeren. Et cette nuit de l'été 1914, dans le dernier train de nuit qui circule entre la Belgique et l'Autriche, à bord duquel Zweig figure les premiers témoins de la violation de la neutralité belge par les troupes allemandes en vertu du plan Schlieffen. Il relate sa correspondance passionnée avec Rolland et les articles publiés depuis l'exil suisse, le retour dans une Autriche dévastée et la famille impériale bannie, croisée à la frontière autrichienne. Zweig formule une analyse très pertinente sur les changements qui s'opèrent dans la société. Après avoir narré l'Europe à barbe blanche, il décrit une Europe nouvelle, jeune et imberbe, et suit avec effroi la montée des extrêmes avant de fuir les uniformes marrons en émigrant au Brésil.
Je vous livre ici un passage sur l'Europe de l'entre-deux-guerre qui m'éblouit par la justesse de son analyse. (Désolée, c'est en allemand, je ne me sens pas le courage de traduire.)

 (…) innerlich vollzog sich eine ungeheure Revolution in diesen ersten Nachkriegsjahre. Etwas war mit den Armeen zerschlagen worden : der Glaube an die Unfehlbarkeit der Autoritäten, zu dem man unsere Jugend so überdemütig erzogen. Aber hätten die Deutschen ihren Kaiser weiter bewundern sollen, der geschworen hatte zu kämpfen "bis zum letzten Hauch von Mann und Roß" und bei Nacht und Nebel über die Grenze geflüchtet war, oder ihre Heerführer, ihre Politiker oder die Dichter, die unablässig Krieg auf Sieg und Not auf Tod gereimt? Grauenhaft wurde erst jetzt, da der Pulverkampf sich über dem Land verzog, die Verwüstung sichtbar, die der Krieg hervorgerufen. Wie sollte ein Sittengebot noch als heilig gelten, das vier Jahre lang Mord und Raub unter dem Namen Heldentum und Requisition verstattet? (…) So weit sie wache Augen hatte, sah die Welt, daß sie betrogen worden war. (…) Was Wunder, wenn da eine ganze junge Generation erbittert und verachtungsvoll auf ihre Väter blickte, die sie sich erst den Sieg hatten nehmen lassen wollen und dann den Frieden? (…) War es nicht verständlich, wenn jedwede Form des Respekts verschwand bei dem neuen Geschlecht? Eine ganz neue Jugend glaubt nicht mehr den Eltern, den Politikern, den Lehrern; jede Verordnung, jede Proklamation des Staates wurde mit misstrauischem Blick gelesen. Mit einem Ruck emanzipierte sich die Nachkriegsgeneration brutal von allem bisher Gültigen und wandte jedweder Tradition den Rücken zu, entschlossen, ihr Schicksal selbst in die Hand zu nehmen, weg von alten Vergangenheiten und mit einem Schwung in die Zukunft. Eine vollkommen neue Welt, eine ganz andere Ordnung sollte auf jedem Gebiete des Lebens mit ihr beginnen; und selbstverständlich begann alles mit wilden Übertreibungen. Wer oder was nicht gleichaltrig war, galt als erledigt. Statt wie vordem mit ihren Eltern zu reisen, zogen elfjährige, zwölfjährige Kindern in organisierten und sexuell gründlich instruierten Scharen als „Wandervögel“ durch das Land bis nach Italien und die Nordsee. In den Schulen wurden nach russischem Vorbild Schülerräte eingesetzt, welche die Lehrer überwachten, der "Lehrplan" umgestoßen, denn die Kinder sollten und wollten bloß lernen, was ihnen gefiel. Gegen jede gültige Form wurde aus bloßer Lust an der Revolte revoltiert, sogar gegen den Wille der Natur, gegen die ewige Polarität der Geschlechter. Die Mädchen ließen sich die Haare schneiden, und zwar so kurz, daß man sie in ihren "Bubiköpfen" von Burschen nicht unterscheiden konnte, die jungen Männer wiederum rasierten sich die Bärte, um Mädchenhafter zu erscheinen, Homosexualität und Lesbierinnentum wurden nicht nur aus innerem Trieb, sondern als Protest gegen die althergemachten, die legalen, die normalen Liebesformen große Mode. Jede Ausdrucksform des Daseins bemühte sich, radikal und revolutionär aufzutrumpfen, selbstverständlich auch die Kunst. Die neue Malerei erklärte alles, was Rembrandt, Holbein und Velasquez geschaffen, für abgetan und begann die wildesten kubistischen und surrealistischen Experimente. Überall wurde das verständliche Element verfemt, die Melodie in der Musik, die Ähnlichkeit im Portrait, die Faßlichkeit in der Sprache. Die Artikel "der, die das" wurden ausgeschaltet, der Satzbau auf den Kopf gestellt, man schrieb "steil" und "keß" im Telegrammstil, mit hitzigen Interjektionen, außerdem wurde jede Literatur, die nicht aktivistisch war, das heißt, nicht politisch theoretisierte, auf den Müllhaufen geworfen. Die Musik suchte starrsinnig eine neue Tonalität und spaltete die Takte, die Architektur dreht die Häuser von innen nach außen, im Tanz verschwand der Walzer vor kubanischen und negroiden Figuren, die Mode erfand mit starker Betonung der Nacktheit immer andere Absurditäten, im Theater spielte man „Hamlet“ im Frack und versuchte explosive Dramatik. Auf allen Gebieten begann eine Epoche wildesten Experimentierens, die alles Gewesene, Gewordene, Geleistete mit einem einzigen hitzigen Sprung überholen wollte; je jünger einer war, je weniger er gelernt hatte, desto willkommener war er durch seine Unverbundenheit mit jeder Tradition – endlich tobte sich die große Rache der Jugend gegen unsere Elternwelt triumphierend aus. (…) Biedere, brave, graubärtige Akademieprofessoren übermalten ihre einstigen, jetzt unverkäuflich gewordenen „Stilleben“ mit symbolischen Würfeln und Kuben, weil die jungen Direktoren (überall suchte man jetzt Junge und besser noch: Jüngste) alle andern Bilder als zu "klassizistisch" aus den Galerien räumten und ins Depot stellten. (…) Überall lief das Alter verstört der letzten Mode nach; es gab plötzlich nur den einen Ehrgeiz, "jung" zu sein und hinter der gestern noch aktuellen eine noch aktuellere, noch radikalere und noch nie dagewesene Richtung prompt zu erfinden.
Welch eine wilde, anarchische, unwahrscheinliche Zeit, jene Jahre, da mit dem schwindenden Wert des Geldes alle andern Werte in Österreich und Deutschland ins Rutschen kamen! Eine Epoche begeisterter Ekstase und wüster Schwindelei, eine einmalige Mischung von Ungeduld und Fanatismus.
Zweig, Die Welt von Gestern, Frankfurt a/M: Fischer Taschenbuch Verlag, 2012, p. 339-343.


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*Letzten Endes glaube ich, stammt er [der unvermuteter Erfolg] von einer persönlichen Untugend her, nämlich daß ich ein ungeduldiger und temperamentvoller Leser bin. Jede Weitschweifigkeit, alles Schwelgerische und Vage-Schwärmerische, alles Undeutliche und Unklare, alles überflüssige-Retardierende in einem Roman, einer Biographie, einer geistigen Auseinandersetzung irritiert mich. Nur ein Buch, das ständig, Blatt für Blatt, die Höhe hält und bis zur letzten Seite in einem Zuge atemlos mitreißt, gibt mir einen vollkommenen Genuß. (...) Selbst bei den berühmtesten klassischen Meisterwerke stören mich die vielen sandigen und schleppenden Stellen (...). 
Zweig, Die Welt von Gestern, Frankfurt a/M: Fischer Taschenbuch Verlag, 2012, p. 363.