mercredi 28 juillet 2010

Old School meets Young Generation

La musique de chambre reste une particularité du Verbier Festival, qui permet aux meilleurs artistes du monde de se retrouver pour faire de la musique ensemble.

© Julia Wesely
le 20 juillet à l'église de Verbier, c'étaient Rodion Shchedrin, Renaud Capuçon et Mischa Maisky qui se retrouvaient pour jouer Three funny pieces de Shchedrin, trois pièces très drôles (surtout la dernière, l'humoresque, enfin humoristique), que ces trois grands enfants ont beaucoup de plaisir et de malice à faire connaître au public, qui ponctue les inventions loufoque du compositeur par moult rires. Et Maisky de donner le ton d'emblée, en tombant d'un coup avec son tabouret, apparemment mal vissé.

Le ton change, le pianiste aussi: la jeune musicienne géorgienne Khatia Buniatishvili remplace Shchedrin pour le trio N°3 en fa mineur, op.65 de Dvorak, joué avec beaucoup de verve et de précision, mais il manque une idée commune qui porte le tout. Néanmoins une excellente prestation, et l'envie de réentendre, voire de jouer ce trio découvert ce soir-là.

Après l'entracte, on continue à explorer Dvorak, son quatuor pour piano et cordes en Mi bémol Majeur, op. 87. Changement de protagonistes: tout comme le Liederabend du 19 juillet 2010, qui réunissait deux musiciens chevronnés et deux jeunes talents, l'immense Lynn Harrell et le tout petit Menahem Pressler (le premier faisant presque deux fois la taille du second, ce qui donne un côté attendrissant au groupe) encadraient les jeunes Lisa Bathiashvili, qu'on n'a plus besoin de présenter, et Laurence Powell, belle découverte de ce Festival,
en ce qui me concerne. Aux deux jeunes à la technique infaillible et à l'énergie insouciante s'ajoutent les deux anciens, avec leur musicalité hors pair, datant de cette époques révolue où la pensée musicale était plus importante que la pureté du jeu.
© Menahem Pressler 2009
Malgré cette très grande différence d'âge qui les sépare, le quatuor trouve sa propre pensée, c'est un corps avec ses organes multiples, aux caractéristiques différentes, certes, mais qui ont tous pour but de servir l'ensemble, le tout. C'est un moment de très grande musique, et, pour une fois, le public ne se lève pas pour prétendre assister à un concert exceptionnel et pouvoir raconter ce moment historique à ses connaissance une fois de retour à New-York, Londres ou Tokyo. Pour une fois, le public bat des mains parce qu'il ne peut pas faire autrement, et il y a ces sourires de bonheur sur les visages, et la joie de réentendre le mouvement lent. On aurait bien réentendu tout le quatuor, mais les musiciens ont déclinés la demande d'un second bis.

Liederabend, Prégardien en bonus

Deuxième concert à Verbier, cette fois-ci dans le cercle plus restreint de l'église, pour une soirée dédiée aux Lieder de Schubert et Brahms.

© Bavarian State Opera
Le concert commençait avec les aigus de la jeune soprano Sylvia Schwartz pour se terminer dans les graves du baryton Markus Werba, les jeunes étoiles montantes encadrant les deux chanteurs chevronnés que sont Anne Sofie von Otter et Christophe Prégardien (remplaçant Bostridge, pour mon plus grand plaisir). Les pianistes jouant en alternance étaient Kyrill Gerstein, pour Schwartz et Prégardien, et Bengt Forsberg pour von Otter et Werba.

Sylvia Schwartz ouvre donc le concert, avec beaucoup d'émotion, on la sent tendue, mais sans raison: elle traverse les pièces de Brahms avec aisance et un bon son, très clair, très pur, qui lui ressemble, elle qui se tient debout tout en blanc sur la scène, avec ses cheveux foncés qui contrastent avec sa peau blanche, et ses grands yeux plein de candeur. Peut-être un peu trop de vibrato à mon goût, mais nous dirons que c'était dû à sa nervosité. Je ne me souviens pas l'avoir entendue dans un opéra, mais j'arrive très bien à me l'imaginer en héroïne d'un opéra italien, dans un rôle léger, comme Zerlina, ou Oscar.

Anne Sofie von Otter, grande chanteuse que j'admire énormément, meilleur Rosenkavalier qui soit. Elle monte sur scène très vieillie par-rapport à la photo qu'elle a laissé publier, la peau bronzée et le cheveux très blonds. Sa voix aussi est vieillie, et l'émotion ne passe pas réellement, même si c'est chanté très bien, peut-être un peu trop bien, trop poli comme son, et cela tue l'élément vivant des Lieder.

Venait Prégardien, avec Schubert. L'intensité est à son comble déjà dans le premier Lied, Der Zwerg, mais malgré tout, il réussi encore à intensifier son chant, frôlant la limite de la douleur dans Im Bendrot. A ma grande surprise, il enchaîne assez rapidement avec le dernier morceau, dans lequel la tension retombe un peu, pour laisser une chance à Werba.
Le jeune Werba se fait une place, un timbre très beau, chaleureux, et une puissance remarquable, il fera certainement un excellent chanteur d'opéra. Son fort, ce sont plutôt les grands traits lyriques que les fioritures virtuoses, il est plutôt un calibre de grande salle. De lui également, je me promets encore beaucoup.

Quelques pièces jouée en quatre mains par Gerstein et Forsberg, comme des petits intermèdes instrumentals entre les pièces vocales, que j'ai jugé sans grand intérêt, pas que les pianistes aient mal joué, mais simplement qu'il considéraient sans doute eux aussi ces pièces comme secondaires au programme.

mardi 20 juillet 2010

VFCO, Tákacs-Nagy, Argerich, Guerrier et Gringolts, de Haydn à Shchedrin

Ce blog est décidément dans un état léthargique. Pourtant ma vie en ce moment est loin de l'être, puisque j'ai enfin réussi à me glisser dans le staff du Festival de Verbier, et que je suis donc débordée de concerts à écouter. Par exemple: faut-il aller écouter Berlioz , l'ouverture Le Corsaire, Le concerto pour violon et orchestre n°2 de Bartók et Don Quichotte de Strauss (Dutoit, Kavakos, Bashmet et Maisky) ou Lugansky, avec Chopin et le 2ème sonate de Rachmaninov? Est-ce que je pourrais écouter Berlioz et Bartók, et courir à l'autre concert pour entendre Rachmaninov?

Mais parlons un peu de ce que j'ai vu. Rien de moins que la grande Martha, et je suis encore presque stupéfaite d'avoir réussi à l'entendre en live, accompagnée du Verbier Festival Chamber Orchestra et de l'excellent (et beau!) trompettiste David Guerrier, sous la direction du chef hongrois Gábor Tákacs-Nagy, avec qui la pianiste avait déjà collaboré lors du Verbier Festival 2009, pour le concerto pour piano N°2 de Beethoven. A voir, le succès fou de ce concert les a poussé à renouveler l'expérience. J'en suis ravie: le concerto pour piano et trompette n°1 de Shostakovich était brillant de technique, vivacité et finesse. Martha Argerich ne montre pas beaucoup ses émotions, en revanche elle les canalise dans ses doigts qui volent avec une agilité surprenante, et une puissance par moment presque animale. Argerich est cette femme qui semble jouer tout avec amusement, détachement, comme si la partition était un jeu avec l'orchestre et le chef, elle a cette approche riante également pour ce concerto, ce qui colle bien avec la musique de Shostakovich, riante à l'excès, virant dans des rythme durs et obstinés de révolte lorsque le rire n'est plus possible, passages joués avec une intensité qui donne les frissons. Mais ne parlons pas que de Martha - le trompettiste surprend lui aussi avec une palette de son très large et un son d'une douceur qui n'est pas sans rappeler celle du cor, il saute du son brillant typique à son instrument à quelque chose de beaucoup plus voilé et intime, une précision d'attaque et la capacité de se marier avec la sonorité du piano, chose difficile de part les caractéristiques très différentes de ces instruments.

Quant à Gábor Tákacs-Nagy, il est comme toujours souriant, vif, rebondissant, avec beaucoup d'intensité dans le regard, il est quelqu'un qui, comme Bernstein, dirige avant tout avec le visage.


La symphonie en Ut Majeur N°97 de Haydn souffre malheureusement quelque peu de l'orage qui avait décidé de lancer ses grêlons sur la tente à ce moment précis. (merci.), mais on peut deviner que les passages doux était aussi bien jouer que les grands traits, quelques fautes de démarrages dans le premier mouvement, mais dès le second, le Verbier Festival Chamber Orchestra (re)trouve son unité et joue avec une énergie que Tákacs-Nagy doit parfois un peu tempérer.

En seconde partie, le concerto parlando pour violon et trompette et orchestre à cordes de Rodion Shchedrin, compositeur que j'apprécie beaucoup (j'avais ce soir-là une carte à son nom, à côté de lui (vive la coloc qui distribue les tickets aux VIP!)(qui bien souvent ne viennent pas). Concerto dans lequel Shchedrin joue avec des sonorités inattendues issues de l'union entre la trompette (toujours Guerrier) et le violon (Ilya Gringolts). Je retiendrai un très beau passage dans lequel l'orchestre et le violon se fondent et ressortent à tour de rôle - et le sourire du compositeur.

En finale, la première symphonie de Bizet, entendue ce printemps à Vienne, avec un orchestre très connu (Gewandhaus Leipzig? je ne me souviens plus). Le dernier mouvement, sorte de tarentelle, brouhaha que le chef d'orchestre à Vienne tentait vainement d'organiser un peu était joué ici avec une précision époustouflante. Lorsque l'on pense que cet orchestre du Festival de Verbier joue presque chaque soir un programme différent, on peut les applaudir très fort et huer l'orchestre de ce printemps, qui faisait une tournée avec cette symphonie sans se prendre la peine de la travailler vraiment.

Premier concert à Verbier, j'en redemande!