dimanche 28 juin 2009

Le Talmud: Enquête dans un monde très secret (Salfati)

Le soleil danse avec les nuages, et je suis en retard dans mes critiques. Brendel joue Haydn, la bouilloire chante sur le feu et je livre ma critique de ce livre que l'on m'a offert en échange de mon compte-rendu.

Albin Michel, 276 pages


Quatrième de couverture:

Le Talmud, objet de toutes les méprises, est depuis deux mille ans au cœur de la vie juive traditionnelle. Livre unique, il a subi, à l'image de son peuple, les errances, les persécutions, les métamorphoses. Pierre-Henry Salfati, lui-même talmudiste, nous fait découvrir à travers tous les continents et toutes les époques comment le Talmud a généré communautés et individus incroyables, aux histoires surprenantes et uniques : les génies qui connaissent chaque centimètre carré de ses milliers de pages par cœur, les employés de Manhattan qui l'étudient chaque matin clans le train, les hassidim messianiques de Jérusalem, les collectionneurs fous... Parmi cette galerie fantastique, le livre est lui-même un personnage à part entière. On découvre ainsi des histoires de faux traités, d'autodafés, de cimetières livresques, de controverses avec le Ciel, d'imprimeries babéliennes, ou encore de divorce royal - celui d'Henri VIII en l'occurrence... De New York à Jérusalem en passant par Paris. Venise ou Worms, Pierre-Henry Salfati nous initie avec bonheur à un monde peu connu, peuplé de figures exubérantes et de mystères historiques. Une vraie belle histoire juive, en somme, dans tous les sens du terme.


Mon avis: ***
L'ouvrage en question, comme appendice au documentaire Le Talmud de Salfati propose une histoire du judaïsme conduit par un fil rouge: le Talmud. Histoire bien sûr des plus sommaires - 4000 ans d'histoire en 170 pages! - mais très agréable à lire. Salfati procède comme un journaliste, voyageant entre Les Etats-Unis, Israël, l'Italie et l'Allemagne, passant de l'ère des téléphones portables aux bûchers de l'inquisition, et s'arrêtant un instant à la cour d'Henri VIII, "interviewant" les autochtones dont il livre les anecdotes.
Pour la goy que je suis, les références aux fêtes, aux courants religieux et à leurs initiateurs de rabbis ne sont pas toujours aisées à comprendre, se pose donc la question de savoir si le livre de Slafati est destiné aux Juifs ou aux non-Juifs. Et, bémol considérable pour moi, les attaques gratuites et pleines de mépris pour l'Eglise - catholique et réformée - que je trouve déplacées. Safati pose son peuple comme la Victime incessamment martyrisée et pointe du doigt sur les bourreaux, allant jusqu'à dire que les thèses d'Hitler, en somme, avaient déjà été énoncées par Luther (impliquant l'accusation monstrueuse que tous les chrétiens protestants sont en quelque sorte des nazis). Quitte à relancer le débat, je m'insurge contre ce droit que prennent les gens de se déclarer victimes. Dans la question de la Shoah, au point où l'on en est aujourd'hui, je crois fermement que personne n'a le droit de juger si untel est coupable, c'est un jugement qui incombe à la personne concernée, et à elle seule. Et inversement, qui peut s'auto proclamer victime? Ce n'est pas à nous-même de le décider, mais aux autres de le reconnaître. C'est la la clé pour se libérer du traumatisme de la Shoah et s'en émanciper.

Après la lecture de Salfati, que me reste-t-il à faire, moi, doublement coupable d'être Allemande et protestante?

lundi 8 juin 2009

Animal Farm (George Orwell)

De temps en temps, il m'arrive de retrouver le temps pour la lecture. Dans le tube, et un samedi soir frileux, dans un café en face de l'English National Opera, devant un énorme chocolat chaud (il faisait vraiment froid et j'étais en short).

Penguin, 95 pages


Quatrième de couverture:
Mr Jones of Manor Farm is so lazy and drunken that one day he forgets to feed his livestock. The ensuing rebellion under the leadership of the pigs Napoleon and Snowball leads to the animal taking over the farm. Vowing to eliminate the terrible inequities of the farmyard, the renamed Animal Farm is organized to benefit all who walk on four legs. But as time passes, the ideals of the rebellion are corrupted, then forgotten. And something new and unexpected emerges...


Mon avis: *****
Cette courte nouvelle vient compléter ma lecture de Life and Fate de Vassily Grossman (critique à paraître d'ici la fin de la semaine, j'espère). Orwell a, déjà dans les années 50, compris les déviations du communisme - du stalinisme, devrait-on dire. Il en fait le constat dans une parodie grinçante à petite échelle. L'Animal Farm envoie des pigeons pour convaincre les fermes avoisinantes d'adopter leur idéologie, se crée un ennemi du peuple responsable de tous les problèmes que rencontre l'Animal Farm, connait les exécutions massive de la Russie soviétique de 1937 et le culte du leader.
Cette courte nouvelle fantastique raconte mieux que moults gros ouvrages scientifiques la naissance et la décadence de l'empire communiste.

samedi 6 juin 2009

Evgeny Kissin possédé & public envoûté

Barbican, London, 05.06.2009, 7.30pm


Je me suis offert ce luxe: réentendre le récital de novembre dernier à Lucerne, cinq mois plus tard à Londres. En relisant ma critique du récital donné dans le cadre de la semaine du Lucerne Festival consacrée au piano, je réalise que ce concert a en quelque sorte mûrit en moi: si je voulais absolument réentendre Kissin dans ce programme, c'était pour sa sonate de Prokofiev, laquelle ne m'avait apparemment pas tant marqué en novembre, puisque j'ai réussi à écrire que le véritable plat de résistance du soir était les études de Chopin, et non cette sonate.
C'est intéressant d'avoir l'occasion d'entendre un récital dans les toutes premières performances en public (si mes souvenirs sont bons, Lucerne était le deuxième concert de la saison) et dans les dernières. On voit alors l'œuvre grandir, changer, parfois beaucoup - comme ici - parfois peu - comme pour le programme final de Brendel.

Je rappelle le programme:

Sergey Prokofiev (1891–1953)
  • Ten Pieces from Romeo and Juliet, Op. 75 (1937) – excerpts
    No. 4, Juliet as a young girl • No. 8, Mercutio • No. 6, Montagues and Capulets
  • Piano Sonata No. 8 in B flat major, Op. 84 (1939–44)

Fryderyk Chopin (1810–49)
  • Polonaise-Fantaisie in A flat major, Op. 61 (1846)
  • Mazurkas – C sharp minor, Op. 30 No. 4 (1837); A flat major, Op. 41; No. 4 (1839); A minor, Op. 59 No. 1 (1845)
  • Études, Op. 10 (1829–32) – No. 1 in C major; No. 2 in A minor; No. 3 in E major; No. 4 in C sharp minor; No. 12 in C minor.
  • Études, Op. 25 (1832–6) – No. 5 in E minor; No. 6 in G sharp minor; No. 11 in A minor.
Point de "faux départ" cette fois-ci, Juliette est gracile et légère comme un oiseau, à la fois fraîche et rose comme un enfant, tiède et langoureuse comme une femme. Mercutio est brillant de virtuosité, racé, fougueux comme un pur-sang arabe. Quant à la confrontation des Montagues et Capulets dans le bal, elle est violente, sombre prédiction des malheurs à venir. Evgeny Kissin a ce don particulier, que j'ai souligné déjà à plusieurs reprises, de raconter des histoires, et ici encore, il raconte ce drame de Shakespeare avec beaucoup de force imaginative.

Venait le véritable plat de résistance, la troisième des sonates de guerres de Prokofiev, composées entre 1939 et 1944. L'interprétation de Kissin est un pas important dans l'histoire de cette sonate. Le pianiste russe se dévoue corps et âme dans cette pièce dont chaque mouvement est complètement différent du précédant. Le premier mouvement est menaçant et joue avec la tension qui monte, se brise, pour recommencer jusqu'à ce que les nerfs ne le supportent plus; le second mouvement est un songe, une réminiscence d'un passé lumineux dans un présent calciné; le troisième est une explosion de joie de vivre juvénile, si caractéristique du compositeur soviétique. Evgeny Kissin a su faire ressortir jusqu'à l'extrême ces différents aspects, tout en conservant une sonate cohérente dans l'articulation de ses mouvements: l'ambiance morbide et menaçante de la guerre, les souvenirs de jours meilleurs, la rébellion contre la mort, l'impossibilité de l'accepter. Je ne crois pas qu'il soit possible d'aller plus loin que Kissin l'a fait, du moins pas pour le moment; Kissin a atteint les limites du possible pour cette sonate.

Si la polonaise-fantaisie et les mazurkas restaient dans ce que nous connaissons déjà de Kissin, ses études étaient d'une finesse et d'une virtuosité qui a séduit le public plus d'une fois - applaudissements spontanés après l'op.10 n°4 et n°12 - la technique époustouflante du pianiste lui permettant de faire également une très belle musique avec ces deux opus de jeunesse de Chopin, en particulier en offrant une attention soutenue à la main gauche et en explorant des lignes mélodiques qui restaient jusqu'alors remises en second plan par les difficultés techniques de études. J'attends avec impatience que Kissin puisse présenter et enregistrer l'intégrale des études op.10 et op.25.

Un récital qui montre une fois de plus que Kissin n'est plus l'enfant prodige des concerti de Chopin, mais désormais un artiste dans sa pleine maturité, à la poursuite d'idéaux qui deviennent chaque jour plus exigeants.

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Edit du 08.06.2009: Une critique à l'extrême opposé - qui me choque par son animosité - parue dans le Times online.

Edit du 09.06.2009: Deux critiques, parues dans le Guardian (critique assez plate, plus un procès-verbal qu'une critique, à mon avis)(j'imaginais que les critiques du Guardian étaient toujours la crème de la crème) et dans le Telegraph (bien argumentée, mais qui ne mentionne pas une seule fois la sonate (!)) (Je ne dis pas que je fais mieux - la mienne manque d'impartialité, de finesse et de profondeur d'analyse, mais quand même, entre rejeter en bloc, faire un PV et passer la sonate sous un silence total - il s'agit tout de même de trois journaux réputés!)