lundi 25 mai 2009

LSO Discovery Day: Brahms

Oui, je remets enfin les pieds ici, et sans doute je saurai revenir un peu plus régulièrement maintenant: samedi soir, j'ai fait la tournée de quelques opéras et salles de concert (English National Opera (ENO), Royal Opera House (ROH) et Barbican, pour tout dire) et j'ai déjà deux billets, pour Lulu au ROH et LSO/Davis/Freire au Barbican. Lulu, c'est l'une de mes lectures préférées, je suis donc très impatiente de découvrir l'opéra de Berg, et me suis offert une place assise à visibilité non réduite pour 20£. Pour mon anniversaire, car il y a une représentation qui a lieu le soir de mon anniversaire.

Mais.
Samedi je tombais par hasard sur ce Discovery Day, il restait des places (pas comme pour le récital de Kissin, grâh.) alors j'ai changé mes projets de passer mon Bank Holiday Sunday à Brighton, au bord de la mer, et j'ai hanté les locaux du Barbican et de St-Luke pour une journée dédiée à mon Brahms.

Le programme:
  1. 10.00 am - 1.00 pm: general rehersal du concert du soir au Barbican
  2. 2.30 pm - 3.30 pm: conférence sur Brahms: Traditionalist and Progressive
  3. 4:00 pm - 5.30 pm: trio pour clarinette, trio pour clarinette par des musiciens du LSO et questions
1. Répetition générale
London Symphony Orchestra, Sir Colin Davis, Nikolaj Znaider
  • Stravinsky: Orpheus
  • Brahms: Concerto pour violon, op.77
  • Elgar: Introduction and Allegro for Strings
J'avoue que je suis restée très sceptique de cette interprétation de Stravinsky, je pense que plusieurs musiciens du LSO n'aimaient pas particulièrement cette pièce, et cela se ressentait dans cet Orpheus, joué sagement et proprement, mais sans tripes, avec corps mais sans âme - du moins en comparaison avec ce qui suivra. Les violons n'étaient pas tous très réveillés, on avait des attaques très différentes, entre le premier violon très sec et nerveux et certains plus mous. On a, comme je l'avais déjà remarqué dans l'enregistrement de l'intégrale des concerti de Beethoven avec Kissin, des basses puissantes et extrêmenent vivantes et habitées, qui confèrent cette couleur profonde spécifique au LSO que j'affectionne tant. On notera au passage l'effectif assez impressionnant desdites basses: 10 violoncelles et 8 contrebasses, que nous auront pour les trois pièces. Les vents également sont d'une maîtrise à couper le souffle.

Nikolaj Znaider rejoint la scène, et, après avoir repris le début pour metter au point le bon tempo, c'est toute la pièce qui est jouée, sans reprises, si mes souvenirs sont bons (je n'ai rien noté de tel sur mon carnet magique en totu cas). Je n'ai d'ailleurs pas noté grand'chose , mis à part Brilliant! et wow! wow! wow! Parce que c'était réellement impressionnant et magnifique. C'était la première fois que j'entendais - du moins consciemment - Znaider. Je ne sais pas quel est sont répertoire, mais en tout cas, il nous a interprété un Brahms magnifique, très riche et diversifié. Il joue avec l'orchestre, il y a une très belle relation avec les musiciens et le chef - il était le subject of this years LSO Artist's Portait, ce qui signifie qu'il a travaillé régulièrement avec l'orchestre et son chef durant cette saison - et on sentait cette communication constante, qui permet à l'orchestre de sublimer le jeu du soliste et au violoniste de converser avec les musiciens, le tout coordonné par l'extraodrinaire Colin Davis, toujours fringant du haut de ses 82 ans. Un clin d'oeil au second mouvement et au haubois solo du LSO: j'ai toujours trouvé que le hautbois, c'était pas le plus bel instrument. J'ai changé d'avis (je veux jouer du zobois!). Autre remarque pour le troisième mouvement, joué avec beaucoup de rubato, ce qui fait ressortir le caractère tzigane de la partition. C'est volontairement un peu pataud, avec des accents de fête foraine slave, et très séduisant, car l'oeuvre ne perd pas en finesse tout en gagnant en couleur.

Pour Elgar, vents et percussions quittent l'estrade et les chefs d'attaques sont seuls à leur pupitre, placés comme un quatuor, entouré par l'orchestre. Cette disposition s'explique par le fait que les chefs d'attaque assument une partition quasi solistique, souvent différente de celle de l'orchestre. Ici, l'union des cordes, particulièrement des violons, est remarquable, on a ici un seul corps avec une cinquantaine d'archet. Si on sentait une certaine réticence des cordes dans Stravinsky, on sent ici un plaisir évident de jouer les grandes phrases lyriques d'Elgar, ce compositeur qui met en musique les grands ciels anglais avec leurs nuages qui courent à toute allure.

2. Conférence
Robert Pascall, Brahms: Traditionalist and Progressive.

Après une pause de midi sur la terrasse du Barbican ensoleillée et envahie par des Londoniens et touristes de tous âges, plein nord, direction St Luke, l'église du LSO (restaurée, qui sert de local de répétition, lunch concert hall, etc.). Je termine mon café sur un banc à l'ombre devant l'église et une vieille dame s'assied à l'autre bout. Un coup de vent fait voler son programme à ses pieds, je le ramasse, et la conversation s'engage, après son Thank you, perhaps you arm is longer than mine. Elle voyage avec les festivals de musique classique, son agenda est rempli à craquer de concerts, workshops, master classes, conférences et générales, elle a son avis sur tout et parle un allemand presque impeccable - when I'm in Vienna, I feel home. Elle me raconte l'histoire de l'acquisition de St Luke par le LSO, son admiration pour Sir Colin Davis et me conseille des concerts.
Robert Pascall parle des première compositions de Brahms, de l'influence de Bach et Beethoven dans son oeuvre, des études de contrepoint et insiste longuement sur les moult tentatives, encouragées par Schumann, d'écrire une symphonie, et comment les différents matériaux s'insèrent dans les compositions. Il en résulte non seulement une thematische Arbeit qui agit non seulement dans une pièce, mais s'étend sur plusieurs oeuvres.
Brahms à la foi tourné vers le passé, dans ses études de contrepoint et ses exercices de compositions dans ce style, et vers l'avenir, puisque sans Brahms et sa systematic composition, pas de musique atonale.
Une citation pour le plaisir d'un Brahms plaisantain, la réponse du compositeur à la critique que Lachner formula au sujet de sa seconde symphonie et de l'usage des trombones et timbales:

I had very much wanted and tried to get through the first movement without trombones. [...] But their first entry, that belongs to me and thus I cannot di without it and also the trombones. If you wanted me to defend that passage I would have to go further. Then I would have to aknowledge that I am in addition a deeply melancholic person, that the black wings flutter continually over us, that - perhaps not completely accidentally in my oeuvre this Symphony is followed by a samll discourse on the great question "Why" [the Motet: Warum ist das Licht gegeben dem Mühseligen? op. 74 n°1]. If you don't know it [the Motet] I will send it you. It throws the necessary deep and shadow onto the happy Symphony and perhaps explains those kettledrums and trombones. - But please don't take this or the trombones too tragically or seriously.


3. Klarinettentrio
Dernier évement de la journée, un petit monsieur prend le micro. Il est animateur à radio BBC 3 et introduit l'oeuvre en mettant l'accent sur les thèmes, variés à l'infini (la thematische Arbeit, encore.), qu'il fait jouer aux musiciens. Puis ceux-ci nous exécutent un trio frais et d'une approche assez juvénile, saluée par le public. C'était loin d'être parfait, mais il y avait une grande joie de jouer ce trio, que l'on a rarement l'occasion d'entendre, en raison de sa distribution particulière (clarinette, violoncelle, piano). Suivait une série de questions, de l'animateur aux musiciens d'abord, puis du public aux musiciens - faut-il vibrer, et comment? comment lire les critiques, comment rédiger des critiques? où placer ce trio dans un concert? faut-il écouter des enregistrements avant de jouer une oeuvre? comment faire lorsqu'on doit jouer une pièce que l'on n'aime pas? etc.
La vieille dame dit en me quittant: Ich wünsche ihnen noch einen wunderschönen Tag und ich bin ein wenig einversüchtig, dass sie in Wien weiterstudieren.

Et je longe Thames sur le Victoria Embanquement avant de remonter à Trafalgar Square voir des buskers.

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Edit du 28 mai: Boulezian a publié une critique soignée, à lire ici.

Edit du 28 mai, mais un peu plus tard
: il y a à nouveau quelques places pour le récital de Kissin. J'ai eu une place (mais je n'ai pas encore complètement pris connaissance de l'ampleur de mon bonheur).